Comment je suis devenu athée
L’alarme a sonné au début de l’année 2015, alors que j’avais quinze ans. Je me posais des questions et j’essayais de trouver des réponses par moi-même en cherchant d’abord sur Internet, en demandant ensuite à mon père qui, humaniste non croyant, faisait son possible pour me convaincre, mais en vain. Je me dirigeais alors chez mes professeurs qui me disaient qu’il ne fallait pas poser ces questions, que c’était haram (interdit). Les imams avaient la même réponse.
Yahvé, Dieu ou Allah ? Est-ce la même divinité ? Pourquoi envoyer des prophètes ? Pourquoi Dieu ne s’est-il jamais manifesté ? Pourquoi avons-nous été créés ? Pourquoi nous a-t-il créés s’il connaît notre passé, présent et futur ? Pourquoi un paradis et un enfer ? Qui entre la science et la religion a raison ? Adam et Ève ou la théorie de l’évolution ? Le monde a-t-il été créé en six jours ou bien est-ce l’œuvre du Big Bang ? Le déluge s’est-il réellement passé ? Etc.
Par la suite, je me suis retrouvé en désaccord avec plusieurs préceptes religieux que l’on m’a inculqués :
- que l’on oblige le port du voile qui opprime la femme ;
- que la part d’héritage des garçons soit le double de celle des filles ;
- que le témoignage d’une femme vaille la moitié de celui d’un homme ;
- qu’un homme puisse épouser quatre femmes (je ne suis d’accord que si la ou les femmes en question donnent leur autorisation) ;
- que l’on coupe la main du voleur ;
- que l’homme puisse battre sa femme ;
- qu’un homme puisse épouser une fille qui n’a pas encore atteint la puberté ;
- que le mariage se fasse pour le seul « plaisir » de l’homme.
Mais aussi… Pourquoi l’entrée au paradis n’est-elle réservée qu’aux musulmans ? Un scientifique, un philosophe, un médecin qui a été bénéfique à la société n’entrera-t-il jamais au paradis pour l’unique et débile raison qu’il n’est pas musulman ?
Trois évènements successifs ont catégoriquement changé ma vision, ou plutôt l’ont clarifiée et éclaircie dans ces temps de terreur où la religion sévit comme rempart contre tout progrès ; où la religion s’est emparée de la politique en mettant fin à la laïcité dans plusieurs pays du tiers-monde ; où le fanatisme se répand comme une traînée de poudre et tue sur son passage des milliers de personnes innocentes qui suivent peut-être la même religion qu’eux, qui sait ?
Ces trois événements sont mon changement d’école mais, avant cela, le décès de ma grand-mère et celui de mon grand-père. Pourquoi ma grand-mère ? Pourquoi mon grand-père ? Pourquoi ne suis-je pas parti aussi avec eux ? Pourquoi suis-je encore en vie ? Où sont-ils maintenant ? Je me sentais coupable d’être encore en vie…
Les gens me disaient qu’ils étaient au paradis et que je les retrouverais là-bas si je faisais de bonnes actions ici-bas, mais cette réponse ne me suffisait pas. Je leur posais alors d’autres questions.
C’est quoi le paradis ? Comment savez-vous où ils sont maintenant ? Avez-vous parlé à Dieu pour le savoir ? Puis-je le faire aussi ? Pourrais-je les voir maintenant ? Quelles sont ces bonnes actions ? Pourquoi ce Dieu m’a-t-il privé des personnes qui me sont chères ? Est-il sadique ? Est-il cruel, lui qui se décrit dans « ses » livres comme le juste et le bon ?
Lorsqu’ils se trouvaient dans l’incapacité de me donner une explication et une réponse logique à mes interrogations, les réponses étaient renvoyées aux calendes grecques. Ils me disaient que j’étais encore petit pour savoir… Eux qui sont « grands », ont-ils la réponse ? Je n’en avais guère l’impression ! Je suis revenu chez eux l’année suivante et je leur ai dit de me donner, puisque j’avais grandi, une réponse. Alors, ils m’ont sorti l’excuse bidon : « C’est une volonté divine, c’est lui qui l’a voulu ainsi, nous sommes illettrés face à la connaissance de Dieu, lui sait tout ».
Où est ce Dieu ? Comment sait-il tout ? Si Dieu est la cause première, alors qu’elle est la cause première de la cause première ?
Des questions à jamais sans réponses…
Je me demandais toujours, moi qui suis un musulman pratiquant, suis-je aussi un de ces fous de Dieu ? Suis-je une de ces personnes qui se trouvent en Afghanistan, en Syrie, en Irak et qui essaient d’appliquer la charia dans le pays de leurs ancêtres ? Suis-je un terroriste ? Fais-je partie de ces personnes qui rêvent de faire du monde un vaste Califat où règnent le système patriarcal le plus dur, la polygamie, le voile intégral, le Niqab… où l’école est interdite aux petites filles, où la musique, la peinture, la sculpture et les arts en général sont bannis, où les couleurs se confondent et se réduisent à une seule, le noir, et où la bibliothèque idéale ne contiendrait qu’un seul livre, le Coran ? Suis-je un tueur d’hommes, de femmes et d’enfants sans le savoir ?
Ces questions m’ont torturé l’esprit. Malgré un fort sentiment de culpabilité, j’ai arrêté de prier et j’ai rasé ma courte barbe, je ne voulais pas être assimilé à un djihadiste, à un terroriste. Et puis, je lisais de plus en plus le Coran afin de découvrir ses versets de haine que Daesh et Al Qaeda et les autres organisations islamistes appliquent à la lettre. J’étais stupéfait de mes recherches au point de vouloir changer, en plein ramadan, de religion. Un après-midi, alors que je regardais des vidéos sur le christianisme, je suis devenu chrétien… Pas pour longtemps… Trois mois !
Les versets de haine du Coran que je refusais sont :
Combattez ceux qui ne croient ni en Allah ni au Jour dernier, qui n’interdisent pas ce que Dieu et Son messager ont interdit et qui ne suivent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu’à ce qu’ils versent l’impôt de la capitation et qu’ils se soumettent et s’humilient. (Coran, sourate 9, verset 29).
La récompense de ceux qui font la guerre contre Allah et Son messager et qui s’efforcent de semer le désordre sur la terre, c’est qu’ils soient exécutés, ou crucifiés, ou que leur soit coupée la main et la jambe opposée, ou qu’ils soient expulsés de la terre : voilà pour eux l’ignominie d’ici-bas ; et dans l’au-delà il y a pour eux un énorme châtiment. (Coran, sourate 5, verset 33).
Quant au voleur et à la voleuse, à tous deux coupez la main, en récompense de ce qu’ils se sont acquis, en punition de la part d’Allah. Et Allah est Puissant, Sage. (Coran, sourate 5 verset 38), etc.
Ma recherche de la raison reprit sa route, un voyage avec de nombreuses étapes, de l’athéisme de naissance, à l’islam, jusqu’au judaïsme, en passant par le christianisme. Une longue quête de doutes, de lectures des saintes écritures, de visite des lieux sacrés… Les mosquées que je fréquentais avant, mais aussi des églises, en assistant aux messes du dimanche. À force de débattre avec des personnes de toutes confessions sans trouver de réponses à mes interrogations, je finis par déprimer. Je voulais mettre fin à ma vie, ce que j’ai réellement essayé de faire, en plus de plusieurs problèmes dont je parlerai plus tard…
Quand j’ai changé d’école, un camarade me passa le livre de Marx publié en 1844 où il parle d’« opium du peuple ». Je l’ai lu avec mon père, qui l’avait lui-même lu vingt ans plus tôt. Il m’expliqua l’ouvrage de bout en bout. La phrase qui m’a interpellé était la suivante : « C’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. » J’eus alors un déclic pour l’athéisme et… un penchant pour Marx aussi. Mes recherches reprirent de plus belle en continuant mes lectures pleines d’attraits : Le traité d’athéologie de Michel Onfray, L’esprit de l’athéisme (une spiritualité sans Dieu) d’André Comte-Sponville, Dialogue entre un prêtre et un moribond de Sade et des dizaines d’articles et de documentaires… Les idées développées étaient celles qui me correspondaient le plus !
Dans un royaume où l’incroyance est associée à l’immoralité et où les sceptiques sont mis au ban de la société, comment surgit le doute et comment vit-on avec ? Nous sommes allés à la rencontre des athées du Maroc, jeunes gens qui avaient espéré dans la foulée des printemps arabes que la liberté de conscience aurait enfin droit de cité. Récit d’un combat pour l’émancipation.
Tel était l’en-tête du reportage spécial de la revue mensuelle Philosophie magazine du troisième mois de l’année 2016. Je me l’étais procurée le 3 mars en la trouvant tout près de l’hebdomadaire Telquel que j’étais venu chercher. La nuit, alors que mon père lisait son journal, je dévorais ma nouvelle acquisition. Je m’étais rendu compte que les questions qui ne me laissaient pas dormir, d’autres personnes les avaient posées avant moi… C’était rassurant, et des Marocains en plus ! À la fin de la lecture, j’avais pris ma décision.
Je serai athée ! Je le suis devenu !
Ce petit a privatif devant l’immense théos (dieu) : être athée, c’est être sans Dieu soit parce qu’on se contente de ne croire en aucun, soit parce qu’on affirme l’inexistence de tous, tel est la définition de l’athéisme d’André Comte-Sponville dans son livre : Présentations de la philosophie. Ce cher André aurait dû écrire, il me semble, « réfute l’existence de tous » plutôt que « affirme l’inexistence de tous » puisque sans l’affirmation d’un dieu, il ne peut y avoir une affirmation de sa non-existence… C’est parce que des croyants affirment que Dieu existe que l’on peut, nous les athées, le réfuter.
Je suis sans Dieu !
Un sentiment de vertige m’accompagnait après mon apostasie, une difficulté à déconstruire tout ce que j’avais construit de ma naissance à maintenant, une volonté de ne plus vouloir vivre, ni travailler, et encore moins d’écrire… Je me rendais au lycée, juste pour revivre avec mes amis qui me redonnaient cette envie d’aller de l’avant. En leur présence, une question se cachait, mais dès que je les quittais, elle revenait ! Je devais obligatoirement y répondre, pour mon bien-être :
Maintenant que je ne suis plus croyant et musulman pratiquant et que rien ne se trouve après la mort jusqu’à preuve du contraire, ni paradis ni enfer ; alors, pourquoi rester en vie si je vais, dans tous les cas, mourir ?
J’ai trouvé la réponse à cette question sur un site consacré à l’athéisme. La voici :
Prendre conscience de sa non-croyance est comme une nouvelle naissance. C’est comme une immense bouffée de liberté. Cependant rien n’est réglé, tout reste à construire.
Si la question « pourquoi rester en vie ? » n’est pas la plus importante, les questions fondamentales sont : Pourquoi vivre ? Et dans quel but ? Comment vivre ? Comment affronter les épreuves de l’existence, les malheurs et la mort ?
« L’athéisme n’est pas une conclusion, c’est un point de départ ! » disait Mathieu Delarue.
J’en ai parlé à mes parents. Mon père m’a soutenu, affirmant son humanisme et qu’il ne croyait en aucune divinité transcendante, uniquement en l’humain et ce depuis très longtemps ; qu’il ne m’en avait jamais parlé avant pour ne pas m’influencer, afin d’y arriver par moi-même. Lui, il jeûnait pour participer à cette ambiance de ramadan dans une société musulmane dans laquelle il vivait. Pour lui, la religion est un refuge dans les mauvais moments alors que la non-croyance se nourrit du vide de son objet et qu’un sentiment de malaise persiste toujours en elle. Tout cela pour me dire qu’il faut bien réfléchir à son choix.
Ma mère l’a mal pris. Elle a arrêté de me parler pendant un mois. Ensuite, sans ressortir ce sujet, elle m’a interpellé un samedi de bon matin en me disant : « Tu as encore dit Bismilah (au nom de Dieu) à la vie et tu nies l’existence de Dieu ? »
Je lui ai répondu : « Oui ! »
Et elle a rétorqué : « Continue d’être athée, un jour, tu deviendras homosexuel ! »
Très sympa de la part d’une mère, mais cette réponse m’a tellement fait rire que je n’ai pas voulu surenchérir à cette provocation maternelle. Je vais, dorénavant, en subir bien d’autres dans la vie de tous les jours.
Nous écrirons jusqu’à détruire ces histoires à dormir debout… !
Notes
- * Après « Je suis orphelin de Dieu (histoire d’une abjuration) », paru dans la Newsletter n° 14, nous sommes heureux de publier ce nouvel article que nous fait parvenir Mustapha, ce jeune maghrébin mineur.
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