« Dieu », ça ne me dit rien… Par Noël RIXHON

« Dieu », ça ne me dit rien tout d’abord dans le sens où il ne m’a jamais rien dit alors que je suis là depuis près de 81 ans et  que j’ai poussé les choses assez loin (philosophie, théologie, prêtrise) dans l’espoir qu’il me dise quelque chose ; mais rien n’est venu. Silence total qui équivaut à une absence d’être, une inexistence. Voilà pourquoi le terme “dieu”, de toute façon, ne me dit rien ; il est, pour moi, vide de sens, ne représente rien, n’évoque rien de spécifique ni de vivant, ne désigne aucune réalité objective ni objectivable, c’est-à-dire indiscutablement perceptible par n’importe qui, c’est-à-dire par tout le monde. J’ai appris que l’on peut se passer d’une transcendance surnaturelle et que nous sommes en mesure de donner nous-mêmes un sens à notre vie, de lui reconnaître  de la valeur, de nous fixer nous-mêmes des règles de vie communes et personnelles tout à fait positives et constructives, et ce, en dépit d’une certaine hégémonie de la foi en Dieu, des religions, des traditions et coutumes à composante religieuse.

Les religions sont effectivement bien là, mais leurs discours prennent des tons assez différents depuis les plus intransigeants à caractère absolu, quelques fois dépourvus d’humanité, jusqu’aux plus souples qui tentent de ramener, par exemple, le message chrétien à l’essentiel, de le rendre plus accessible en le dépouillant des scories dogmatiques et rituelles ou de le diluer dans des développements intellectuels sans lien avec le concret de l’existence ou de l’assimiler à la philosophie, voire  prétendre « laïciser Dieu».

D’un côté, vous avez la COMECE (Conférence des épiscopats de la Communauté européenne) qui déclare ceci en 2005 : « L’identité chrétienne, qui est d’ordre sacramentel, est d’un autre ordre que l’identité civile et – s’empresse-t-elle d’ajouter prudemment, jésuitiquement – n’entre pas en contradiction avec celle-ci ! ». Sacramentel, qu’est-ce à dire ? « Qui tient du sacrement par son caractère consacré, solennel ou rituel » (Le Petit Robert). Quiconque croit en un dieu, se croit promis à un avenir éternel au-delà de la mort, appartient à une Église, à une institution religieuse, serait-il plus “sacré” que tout humain qui ne croit pas en un dieu ? En quoi dans sa nature et sa dignité humaines, un croyant (chrétien ou autre) se différencierait-t-il d’un incroyant ? Parce qu’il se croit appartenir à son Dieu ? Croire en un dieu signifierait-il se prendre pour un être éternel, voire pour un dieu ? « Vous êtes des dieux », est-il écrit quelque part dans la Bible ! De là, à penser, espérer que cela devrait être le cas pour tous les humains en vue leur salut éternel, il n’y a qu’un pas que d’aucuns ne se privent pas de franchir. En tout cas, se croire appartenir à un dieu qui seul est maître de la vie donne lieu à une opposition farouche à la pratique pourtant règlementée de l’avortement et de l’euthanasie, à la pratique de la recherche sur les cellules-souches embryonnaires et à la reconnaissance de l’homosexualité au même titre que l’hétérosexualité. Si telle est la position de certains croyants, elle n’est que la leur et n’a pas à être imposée à toute la société.

D’un autre côté, le christianisme peut prendre des allures moins radicales et être présenté de manière plus « cool », mais tronquée. J’en veux pour exemple les conférences et publications de Gabriel Ringlet, telle L’évangile d’un libre penseur avec son sous-titre, Dieu est-il laïque ? (Albin Michel). Robert Joly s’est empressé de riposter par son petit livre, Libre pensée sans évangile, dans lequel il constate que « l’abbé Ringlet procède par occultation de certains textes, interprétations biaisées et tours de passe-passe exégétiques ». Finalement, ce n’est pas le message chrétien censé être celui d’origine que Ringlet annonce, mais c’est proprement le sien, c’est-à-dire le message originel interprété, arrangé, remis aux goûts du jour. D’ailleurs, le message chrétien d’origine peut-il être retrouvé ? Ne s’est-il pas transformé et perdu au cours des siècles qui ont suivi ? Car, en réalité, que sait-on vraiment du personnage  Jésus de Nazareth qui a donné lieu au Jésus-Christ du christianisme dont l’idéologue fondateur n’est autre que l’apôtre Paul qui avait l’avantage de bien connaître les Écritures et pratiques juives avec lesquelles il a d’ailleurs irrémédiablement  coupé le cordon ombilical ?  De toute façon, Robert Joly fait pertinemment remarquer qu’« entre croyance et libre examen, le dialogue ne sera constructif qu’à partir de positions clairement assumées » et donc – je précise –   sans entretenir un certain flou doctrinal !

De ces considérations, il ressort qu’une même foi, la foi chrétienne en l’occurrence, prend des expressions différentes. Ce qui signifie que celles-ci sont susceptibles d’être raisonnablement contestées. Il y a immanquablement une marge entre, d’une part, ce qui nous anime au plus profond de nous-mêmes, nous est tout à fait propre, de l’ordre de l’indicible et tout à fait  respectable, et, d’autre part, les mots, les idées, les images, toutes expressions  par lesquelles nous cherchons à dévoiler le fond de notre être sans jamais y parvenir, car elles demeurent inévitablement pauvres, approximatives, insuffisantes et, par conséquent, discutables et critiquables. Critiquer les idées n’est pas manquer de respect à l’égard de la personne qui les émet.

Toute doctrine, même religieuse, n’est pas intouchable ni incontestable ! Aucune ne détient une vérité unique, universelle qui expliquerait notre monde, imposerait une morale. Je pense en tant qu’athée  que les religions, les Écritures dites « saintes », les Églises sont des créations, des productions, des constructions purement humaines au même titre que l’ONU et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Il n’y a pas de blasphème qui tienne ! Il est d’ailleurs des propos de théologiens qui tâchent d’expliquer ou d’excuser leur Dieu (et sans doute plus exactement leur foi !) face à la problématique du « mal » et lesquels propos s’avèrent plus injurieux et blasphématoires à l’égard de leur Dieu que la négation de son existence.

N’y aurait-il donc plus rien de sacré ? Le  “sacré”  ne se réduit pas au divin, au religieux. Les Églises n’ont rien de plus sacré que n’importe quelle autre communauté, association, institution, société civile. Le  “sacré”, c’est ce regard, ce deuxième regard, celui du respect, qui reconnait aux réalités, aux choses comme aux êtres vivants, leur valeur, leur importance, leur raison d’être ; il   consiste notamment à considérer quelqu’un pour ce qu’il est vraiment, une personne humaine. C’est ainsi que l’on peut parler de profanation lorsque l’on prend quelqu’un pour ce qu’il n’est pas : un objet, un instrument, un jouet… On nie son humanité, lorsqu’on l’humilie, l’enlaidit, le démoralise, le torture,  l’assassine… Et il y a encore profanation lorsque l’on détériore, pollue, perturbe la Nature… C’est dire l’ampleur, la gravité et la multiplicité des profanations perpétrées à chaque instant dans le monde.

Enfin, le sens du sacré se nourrit de la vision que l’on se fait du monde et notamment de la conscience de l’interdépendance des  êtres de tous ordres qui font l’univers dont nous portons en nous, chacune/chacun, toute l’histoire et les caractères chimique, physique et biologique (E. Morin). Notre patrie, notre maison, c’est l’univers et lui seul ! Tel est le fin fond de ma conscience athée.

 

Noël RIXHON