En pays musulman, c’est de l’athéisme qu’il faut ! Par Patrice Dartevelle
L’histoire de l’athéisme dans les pays musulmans ou à nette dominante musulmane n’est guère étoffée. Elle tourne autour de rares cas isolés et de deux revues publiées dans l’entre-deux-guerres, Al Oussour (Les Temps), publiée en Egypte de 1927 à 1930 et ensuite Al Douhour (Les Siècles) publiée au Liban juste après mais pendant pas plus de deux ans (1). Si dans les dernières décennies, quelques écrivains importants comme le prix Nobel de littérature 1988 Naguib Mahfouz, se sont montrés très critiques vis-à-vis de l’islam, la manifestation explicite de l’athéisme est récente, mais elle ne se fait qu’avec précautions, uniquement à travers des blogs, des pages Facebook sous pseudonyme.
Un cas fait aujourd’hui exception, le Palestinien Waleed Al-Husseini. Il est maintenant réfugié en France et a publié Blasphémateur! Les prisons d’Allah (2), livre dans lequel il décrit son évolution vers l’athéisme, son action de blogueur athée (sous pseudonymes), son arrestation, son procès et son exil final.
Le parcours
Al-Husseini est issu d’une famille de classe moyenne, musulmane modérée, qui est restée proche de son fils aîné malgré l’arrestation et les poursuites mais a conservé sa foi.
En 2006, à 17 ans, Al-Husseini crée sans doute le premier blog athée du monde arabo-musulman, “LaVoix de la raison”. Ce blog va attirer 70.000 visiteurs par semaine, avant que plusieurs pays musulmans (Tunisie comprise) n’en interdisent l’accès. Par la suite plus de 70 blogs de la même veine vont se créer dans le même univers.
Sur Facebook, il imagine ensuite une page qui lui vaudra encore plus d’ennuis, “Ana Allah” (Je suis Dieu), dans laquelle il parodie cruellement des passages du Coran.
Tel qu’il l’évoque, son parcours -il va mettre six ans pour passer des premiers doutes à l’athéisme affirmé– est purement personnel et intérieur. Il est fait de la fréquentation des bibliothèques publiques, des livres occidentaux et d’Internet.
Il y découvre les philosophes Mu’tzala (on parle d’habitude en français du mutazilisme,école théologique musulmane rationaliste, sorte d’islam des Lumières, apparue dès le 8ème siècle). Il lit le Coran, ce qui est aussi dangereux pour l’islam que la lecture de l’Ancien Testament, soumise à l’autorisation épiscopale jusqu’au 18ème siècle, pour le christianisme. Il y découvre “un nombre incalculable d’aberrations, de versets contraires aux valeurs de l’humanisme, ou encore de récits de guerres et de conquêtes injustes que ces textes tentaient péniblement de justifier”.
C’est le schéma du 18ème siècle européen mais Internet s’y est ajouté (“Le monde virtuel fut mon refuge, comme il l’est pour tant d’anciens musulmans”). Il a suffi à Al-Husseini, à la différence de ses condisciples, de consulter d’autres sites que les pornographiques.
Au lycée et à l’université, il a choisi une voie scientifique, ce qui a développé et enrichi sa manière d’être, sa volonté d’en appeler à l’intelligence, ce qui relève d’une forme plus problématique du savoir que les sciences humaines en pays fondamentaliste religieux.
Professeur un bref moment, il va créer des problèmes en tançant tout élève qui, quand il ne connaît pas l’explication d’un phénomène naturel, déclare que c’est ainsi parce que telle est la volonté de Dieu. Al-Husseini réplique dans ce cas qu’il ne faut pas mêler science et religion. L’ennui pour lui, c’est que ses élèves, conquis par un tel maître, se mettent à se moquer de leurs autres professeurs qui, plutôt que d’avouer leur ignorance, tiennent le même discours primaire.
Critiques philosophiques, critiques du Coran, de Mahomet et de la religion
Comme en Europe il y a quelques siècles, l’argumentaire athée de Waleed Al-Husseini est basé à la fois sur une critique du Coran et de l’islam théorique, de la religion comme elle est pratiquée, mais aussi sur une critique philosophique de tout déisme ou théisme.
Ses critiques philosophiques sont classiques.
Il met en avant ce qui a été, quand il était tout jeune, son premier questionnement : l’homme subit-il ou choisit-il? Si Dieu impose sa volonté, il peut être mauvais ou injuste; il punit celui qui n’a fait qu’obéir à la volonté divine. Mais si le choix est réel, on peut s’opposer aux pouvoirs de Dieu. Celui-ci n’a donc ni puissance ni connaissance absolues.
Il y a aussi le problème de la création : pourquoi Dieu nous a-t-il créés? Ou bien il n’avait pas besoin des hommes et il les a créés par frivolité ou bien il avait besoin des humains mais alors ce manque dénote de sa part un manque, une imperfection.
Si par ailleurs on soutient que notre cerveau est trop limité pour examiner la question de l’existence ou de la non-existence de Dieu, pourquoi Dieu nous aurait-il créés aussi imparfaits? Ce serait de sa part impuissance ou méchanceté.
Enfin il y a la question des lois naturelles. Dieu a-t-il créé les lois naturelles? Si oui, qui a créé Dieu? Si les lois naturelles s’appliquent à Dieu, elles lui sont antérieures et supérieures. Si non, Dieu a commis un acte gratuit, relevant de son seul plaisir et arbitraire. En plus, non sans malignité, Al-Husseini se penche sur la question du repos de Dieu après son oeuvre de création. Dans le Coran, il se repose dans un fauteuil. Pourquoi un tout-puissant doit-il se reposer? En s’asseyant, il se soumet à la loi de la pesanteur. Dans le Coran ce fauteuil flotte sur l’eau. Donc les lois naturelles s’imposent à Dieu, alors que les religions nous le disent au-dessus des lois naturelles.
Al-Husseini décrit bien les contradictions inhérentes à tout déisme et ne manque pas de dénoncer la stupéfiante arriération scientifique des pays musulmans : lors de sa procédure judiciaire, quand il est inculpé, un imam parmi d’autres vient assurer les instances que la seule vérité, c’est que chaque jour le soleil se cache le soir dans la boue et réapparaît le lendemain matin grâce à l’autorisation quotidiennement renouvelée du divin!
Pour la religion concrète, les problèmes sont immenses.
Pourquoi n’y-at-il plus eu de prophète depuis 1.400 ans? Si Dieu n’a créé qu’Adam et Eve, il a fallu de nombreux incestes pour que la race humaine se perpétue et se développe.
Quant au Coran, Al-Husseini voit l’évidence : les guerres et les conquêtes des premiers chefs musulmans ne sont que des razzias dont la religion est le prétexte proclamé et le carburant, avec les butins promis sur terre (richesses et femmes des vaincus) et le paradis promis aux martyrs.
Les guerres de succession de Mahomet elles non plus ne doivent rien à la religion mais tout à la lutte pour le pouvoir.
Ce qui est sans doute révélateur d’un esprit contemporain en termes de mise en exergue, c’est la question de la sexualité de Mahomet et de son incidence sur les règles et pratiques des musulmans plus d’un millénaire après le fondateur de l’islam. Pour W. Al-Husseini, Mahomet, après son veuvage, s’est animé d’une sexualité débridée, a multiplié les conquêtes, y compris celle d’une fillette prépubère de neuf ans, Aïcha. Le fondateur de l’islam a arrangé les textes et les préceptes pour valider ses frasques. Il est vrai que la sourate du divorce laisse pantois : elle prévoit le cas de la femme qui n’a plus de règles et de celle qui n’en a pas encore et dans les deux cas le prescrit est le même, il suffit d’attendre trois mois avant le mariage. Mahomet pédophile, ça n’a pas fait de bien à Al-Husseini dans ses ennuis judiciaires.
L’absolue domination de l’homme sur la femme a ainsi été “théorisée” comme nulle part ailleurs. Certes en Europe également les choses ont mis bien du temps à changer pour les femmes. Souvenons-nous par exemple qu’en 1849, lors des funérailles de Chopin, il faut une dérogation spéciale accordée par l’archevêque de Paris pour que des femmes puissent chanter à l’église de la Madeleine, mais derrière un rideau de velours noir (3).
Quant au discours plus spécifiquement islamiste, Al-Husseini le juge inacceptable pour cinq raisons.
La première est que la théologie y est théorisée et omniprésente pour faire la guerre aux concurrents parce que la religion incarne seule l’identité de la Nation et de sa civilisation. La seconde, la dimension religieuse, articule tout autour du licite et de l’illicite mais dans ce cas, toute opposition, élément indispensable à la démocratie, est plongée dans l’illicite. L’absence de programme est consubstantielle au projet du tout religieux : les islamistes n’ont aucune idée de la politique économique à mener, ils peuvent être libéraux ou socialisants. La marginalisation de l’autre sert à décrédibiliser toute opposition et spécialement tout ce qui provient de l’Occident. L’isolationnisme conduit à une crainte de l’interaction avec les autres civilisations, y compris celles qui sont plus avancées ou celles, ajouterais-je, qui ont précédé et donc ignoré l’islam.
La condamnation est donc totale, on s’en serait douté, mais ne peut servir à valider les propos de ceux parmi les occidentaux qui, à chaque attentat meurtrier commis au nom de l’islam, s’empressent avant tout d’affirmer que tous les musulmans ne sont pas des terroristes. Al-Husseini dénonce le fait qu’aujourd’hui dans l’ensemble des pays musulmans, une très grande part de l’enseignement est confiée à des imams qui ne font que du bourrage de crâne fondamentaliste. Celui-ci ne peut que conduire trop de jeunes au terrorisme.
On a le choix entre dans ses propos entre : “La religion est ce qui freine, à la base, toute idée de changement, de réforme et de renouveau” et : “Aucune démocratie ne peut survivre et progresser dans un combat où la religion divise les citoyens, étouffe l’intelligence…”.
La laïcité
Ceci mène à la question de la laïcité.
Al-Husseini a la dent très dure pour les gouvernements et partis arabes dits “laïcs” : “Les laïcs arabes ont milité en vain pendant des décennies car ils n’ont jamais réussi à réveiller les consciences. Ils se sont attaqués à la surface sans traiter le problème à la source, et ce problème c’est la religion, particulièrement l’islam. il fallait un cri révolutionnaire qui mette les points sur les i. C’est ce que j’ai voulu faire” ou encore : ” Les slogans laïcs et gauchistes ne servent qu’à grignoter quelques avancées au millimètre”. On ne pourrait mieux dire qu’un combat laïque face à une religion unique à laquelle la quasi unanimité adhère est un leurre total. Certes Assad (père) et Saddam Hussein ont protégé les minorités chrétienne, musulmane voire juive de leur pays mais c’était par la force pure et il ne reste plus grand-chose de cette diversité. Sans une présence et une force athées, il ne peut y avoir de laïcité. Le cas des Etats-Unis pourrait m’apporter une contradiction mais la situation des athées y reste difficile (4). In fine, à moins d’être intolérant, la laïcité demeure la seule solution globale mais elle n’est pas le produit intrinsèque et hors sol que l’on proclame trop souvent, notamment en France.
Les musulmans en France
Après de longs mois d’enfermement, d’interrogatoires humiliants, de tortures, de procès manipulé en Palestine, plus précisément en Cisjordanie, grâce à la France et à sa ministre de l’Intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, W. Al-Husseini a été accueilli en France. Il y a obtenu un permis de séjour de longue durée.
Mais à Paris, quel désenchantement pour lui à la vue des immigrés arabes! Il est sans pitié pour eux : “…certains Français d’origine étrangère, notamment les musulmans, n’avaient pas adopté la culture démocratique et même la jugeaient contradictoire avec leurs croyances. Très souvent, ils consultent les imams dans leur pays d’origine sur des question relatives à leur vie quotidienne et ils érigent en loi leurs conseils, en lieu et place de la loi française”. C’est toute la différence entre émigré politique et émigré économique…
En s’appuyant sur le modèle britannique, Waleed Al-Husseini a choisi en 2013 de fonder le Conseil des ex-musulmans de France. Son sentiment sur la majorité des musulmans de France n’y est sans doute pas pour rien : “Mal à l’aise avec mes congénères, j’ai décidé de ne plus fréquenter que le cercle d’amis avec lequel je partageais les mêmes valeurs, le même combat, et de m’ouvrir à la société française”.
- J’emprunte ces renseignements à Waleed Al-Husseini dans son ouvrage repris ci-dessous, pp. 225-226.
- Waleed Al-Husseini, Blasphémateur!Les prisons d’Allah, traduit de l’arabe par Chawki Freiha, Paris, Grasset, 2015, 238 pp., Prix : +/- 18 €;
- cf Christophe Ayad, Le corps à ,Paris,le coeur à Varsovie : la double mort de Chopin? Le Monde du 4 août 2015.
- cf Maurin Picard, Athée en Amérique : un défi périlleux, Le Soir du 7 août 2015.
Patrice Dartevelle
“En pays musulman, c’est de l’athéisme qu’il faut !” https://t.co/bxqB16ywjy
Merci de m’avoir fait découvrir Waleed Al-Husseini et sa volonté de faire évoluer l’islam. Mais “un combat laïque face à une religion unique à laquelle la quasi unanimité adhère est un leurre total”. Je crains en effet qu’il faille encore de très nombreuses générations pour que la majorité des croyants, surtout musulmans, comprenne enfin que leur dieu n’existe que dans leur tête parce que leur religion l’y ont mis qaund ils étaient petits.
Le cas des USA me semble comparable, mutatis mutandis, à celui des pays musulmans parce que toute alternative, surtout non confessionnelle, y est volontairement occultée, ce qui anesthésie tout esprit critique, et toute liberté de conscience.
Noël RIXHON avait mentionné, dans la sixième annexe de “Conscience athée”, mon approche “psycho-neuro-physiologique” à propos de l’origine exclusivement éducative et culturelle de la foi, ainsi que de sa persistance le plus souvent indélébile dans les neurones du cerveau émotionnel.
Correction : ” comprenne enfin que leur dieu n’existe que dans leur tête parce que leur religion l’y a mis quand ils étaient petits”. Sorry !