La nouvelle gouvernance de l’enseignement en Communauté française

Roland Perceval
Président de la Ligue
de l’Enseignement et de l’Éducation permanente (LEEP)

En guise de prélude, examinons deux citations qui peuvent nous éclairer :

La Ligue inscrira en tête de son programme l’étude et la discussion permanente de tout ce qui se rattache à l’instruction et à l’éducation ; par-là elle occupera sans cesse le pays de ces questions vitales, elle lui en fera comprendre l’importance et préparera au corps législatif et au corps enseignant des solutions étudiées.

Charles Buls, Discours de fondation de la Ligue, 26 décembre 1864

Aucune question sans doute n’illustre mieux l’importance, dans la vie politique belge, des controverses idéologiques, ni ne met davantage en évidence le poids du passé que celle qui, depuis près de deux siècles, rebondit de gouvernement en gouvernement à propos de l’École. On peut admirer dans cette permanence la fidélité aux principes, ou regretter que les querelles du passé continuent à hypothéquer les solutions de l’avenir. Il faut bien constater que, en Belgique comme en France du reste, tout ce qui touche à l’École demeure affecté d’un fort coefficient passionnel.

Jacques Lory (1842-1879), Libéralisme et instruction primaire

La sortie récente du SeGEC dans la presse avec sa campagne « un élève = un élève » ne peut que confirmer cette appréciation qui date de 1979

Bref rappel historique de l’histoire de la LEEP

Quelques dates importantes marquent ce que l’on a appelé en Belgique, la « question scolaire ».

1831 – Article 17 de la Constitution[1]

1842 – 23 septembre : Loi sur l’Instruction primaire (« Testament de l’Unionisme[2] »)

1864 – 26 décembre : fondation de la Ligue de l’Enseignement

1878-1884 – Gouvernement libéral majoritaire : création du Ministère de l’Instruction publique (Pierre Van Humbeek)

1879 – 1er juillet : Loi sur l’Instruction primaire (« Loi de guerre, de division et de malheur[3] ») 1ère guerre scolaire

1955 – 13 juin : Loi Collard ; 2e guerre scolaire

1958 – Pacte scolaire

1959 – 29 mai : Loi modifiant certaines dispositions de la législation de l’enseignement (« Loi du Pacte scolaire »)

Rappel du Pacte scolaire et position de l’Enseignement de l’État devenu de la Communauté française à la suite de la communautarisation de l’enseignement

Le Pacte scolaire qui est un acte politique de fait, était censé mettre fin aux antagonismes qui, depuis la création de la Belgique en 1830, s’étaient cristallisés dans ce que l’on a appelé « la question scolaire ». Il fallait mettre fin à cette succession de détricotages systématiques par les gouvernements nouvellement en place de ce qu’avaient fait leurs prédécesseurs. Il y allait donc de la tentative raisonnée de prendre en compte les intérêts et les points de vue en présence qui clivaient et structuraient le débat politique en Belgique depuis 1830[4]. Ce pacte sera le fondement de toute la législation en matière d’enseignement en Belgique jusqu’à la révision de la Constitution de 1988 et la Communautarisation de l’Enseignement en 1989, l’article 17 devenant l’article 24 :

§ 1er. L’enseignement est libre ; toute mesure préventive[5] est interdite ; la répression des délits n’est réglée que par la loi ou le décret.

La Communauté assure le libre choix des parents.

La Communauté organise un enseignement qui est neutre. La neutralité implique notamment le respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents et des élèves.

Les écoles organisées par les pouvoirs publics offrent, jusqu’à la fin de l’obligation scolaire, le choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle.

§ 2. Si une communauté, en tant que pouvoir organisateur, veut déléguer des compétences à un ou plusieurs organes autonomes, elle ne le pourra que par décret adopté à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés.

La loi du 29 mai 1959, telle que modifiée, toujours d’application, dite loi du Pacte scolaire, organise les décisions du Pacte. Voici les grandes lignes de force de ce dernier :

– expansion démocratique de l’enseignement

– organisation de l’enseignement en réseaux : organisé et subventionné. Le Pacte a donc entériné la pilarisation de l’enseignement sous forme d’un « pluralisme vertical » [6]

– liberté de choix du chef de famille

– gratuité de l’enseignement

– liberté en matière de méthodes pédagogiques

La liberté de choix entraîne ipso facto la création d’écoles correspondant à l’orientation philosophique que les parents souhaitent pour leur enfant si ces écoles n’existent pas à une distance raisonnable (critère à définir par le Gouvernement) de leur lieu d’habitation. Ou bien, la création d’un système de ramassage scolaire pour assurer le déplacement des élèves vers l’école de leur choix. Le tout à charge de l’État (de la Communauté). D’où la création importante à l’époque d’écoles et notamment d’écoles de l’État (Athénées Royaux) offrant l’entièreté du cursus.

Les Écoles de l’État et depuis 1989 de la Communauté française sont les écoles organisées par la Communauté et dont le Pouvoir Organisateur est le/la Ministre en charge de l’Enseignement au Gouvernement de la Communauté française. Ces Écoles sont financées par la Communauté. Elles ont l’obligation d’offrir la totalité des cours philosophiques reconnus.

L’Enseignement subventionné se subdivise en :

– l’Enseignement libre confessionnel (essentiellement catholique) (SeGEC)

– l’Enseignement libre non confessionnel (FELSI)

– l’Enseignement officiel subventionné organisé par les communes et les provinces. (CPEONS et CECP)

Qu’entend-on par subventionnement ?

– les “subventions traitements” à charge de la Communauté pour tous les réseaux.

– les subventions de fonctionnement couvrant des frais divers et fonction du nombre d’élèves dans les reseaux, mais avec des limitations. Les montants par élève selon le niveau et le type d’enseignement sont fixés par la loi de 1959 et ajustés périodiquement en fonction des conditions économiques.

– En ce qui concerne les bâtiments scolaires, le Fonds de garantie des bâtiments scolaires (tel que modifié) concerne le financement de l’achat, de la construction, de travaux d’aménagement, de modernisation et d’agrandissement.

Rappel de la raison de la séparation Ministre/Enseignement organisé : le Pacte d’excellence

La scission entre le Pouvoir Organisateur (Ministre de la Communauté française ayant en charge l’Enseignement) et le Pouvoir régulateur (ce même Ministre) est une vieille revendication qui coule pratiquement de source sur le principe « juge et partie ». La mise en place du Pacte d’excellence a rendu cette scission obligatoire. Pourquoi ?

Dans le délicat équilibre entre les réseaux qui prévaut depuis le Pacte scolaire, la Communauté française assure le libre-choix et peut, d’initiative, créer des établissements scolaires là où le besoin s’en fait sentir. D’autre part, l’enseignement de la Communauté française, c’est-à-dire, ex-État, n’est pas subventionné, mais financé par la Communauté. Celle-ci assure l’intégralité du financement de ses écoles qui ne peuvent avoir d’autres ressources que celles que lui verse la Communauté, à la différence de l’enseignement subventionné public ou privé qui peut compléter les subventions reçues de la Communauté française.

Comment en est-on arrivé là ?

Le Gouvernement de la Communauté française avait soumis en 2018 au Parlement de la CF un projet de décret modifiant le décret dit « Missions » du 24 juillet 1997.[7]

Bien que présenté comme une résultante directe des travaux du Pacte d’excellence, le texte était en réalité l’approfondissement de dispositions adoptées antérieurement qu’il était destiné à remplacer[8].

Un nouveau mode de gouvernance

Le texte est important. Il instaure un tout nouveau mode de gouvernance du système d’enseignement. Celui-ci est basé sur la contractualisation. Il est censé donner plus d’autonomie aux équipes pédagogiques et permettre de mieux atteindre les objectifs généraux du système éducatif. Il implique une réorganisation complète de l’administration et des services d’inspection. Il implique la scission de la Communauté française dans ses rôles de régulateur et de pouvoir organisateur.

En vérité, qu’il s’agisse de la contractualisation, de la définition des objectifs généraux, de la réorganisation de l’administration, la réforme est pour la Ligue peu convaincante. Et quant à la scission du rôle de régulateur et de pouvoir organisateur de la Communauté française, elle comporte des difficultés intrinsèques.

En d’autres mots, le gouvernement s’est engagé dans une réforme en profondeur du système éducatif qui suppose la réorganisation complète de son propre réseau d’enseignement, sans s’être assuré au préalable de garantir à celui-ci un mode de fonctionnement efficace. N’eut-il pas été plus logique, pour la bonne gouvernance de l’État, de son propre réseau et du système d’enseignement dans son ensemble, de procéder à l’inverse : créer d’abord les nouvelles structures nécessaires au bon fonctionnement du réseau de la Communauté française, et celles-ci mises en place, de réorganiser l’administration en scindant les rôles de régulateur et de pouvoir organisateur, puis, de mettre en route le nouveau système de gouvernance du système d’enseignement ? Mais la Ministre, fort attachée au réseau libre, a sans doute un autre ordre de priorité qui la rend moins directement soucieuse des destinées du réseau dont elle a la charge directe.

Le nouveau système en quelques mots

Le nouveau système est organisé de manière décentralisée par zones. Le pouvoir régulateur, c’est-à-dire, la Communauté française, délègue auprès des pouvoirs organisateurs et des établissements scolaires de l’enseignement obligatoire, tous niveaux et tous réseaux confondus, des équipes de « délégués aux contrats d’objectifs » (DCO). Ceux-ci définissent des « contrats », à partir du plan d’action stratégique élaboré par chaque équipe pédagogique, qui fixent les objectifs à atteindre en six ans et les moyens d’y parvenir. Les actions définies à travers ces « contrats » constituent la contribution de l’établissement scolaire aux objectifs généraux d’amélioration poursuivis par le système d’enseignement dans son ensemble. Ces objectifs visent, pour l’essentiel, la moyenne des résultats des pays de l’OCDE atteints dans les études PISA, dans un certain délai. Dans le nouveau système, le projet d’établissement en est réduit à n’être plus qu’un catalogue de valeurs et d’intentions pédagogiques, au profit du « contrat » qui a un caractère plus directement opérationnel. Le « contrat » est signé par le DCO et le PO, et contresigné par la direction de l’école de telle sorte que sa responsabilité soit engagée. Le PO devra d’ailleurs reprendre dans la lettre de mission sur base de laquelle la direction est évaluée, les principaux éléments du « contrat ».

Les objectifs généraux étant déterminés par décret et les objectifs propres à l’établissement scolaire étant de l’appréciation du DCO, l’autonomie des équipes pédagogiques se limite au choix des stratégies, mais celui-ci fait lui-même l’objet de l’appréciation du DCO qui contrôle si les modes d’action choisis par l’école sont en adéquation avec les objectifs fixés. Il est clair que dès lors, on va imposer aux établissements une obligation de résultats alors que pour nous seule l’obligation de moyens est pertinente. On voit bien derrière tout cela l’ombre de McKinsey… Où sera la motivation, l’innovation et la créativité des équipes dans un tel système ? La Ligue se pose la question.

Après trois et six ans, l’activité de l’école est contrôlée par le DCO. En cas d’échec, trois cas de figure se présentent :

– l’établissement échoue sans être responsable de l’échec et voit ses objectifs adaptés dans un plan réactualisé ;

– l’échec de l’établissement traduit « une incapacité ou une mauvaise volonté manifeste » de mettre en œuvre le plan ». Dans ce cas, l’établissement fait l’objet d’un « suivi rapproché », d’une « procédure d’audit externe » ou subit des « sanctions » (réduction de moyens de fonctionnement), ou encore, se voit attribuer un « manager de crise » tandis que la direction est écartée ;

– il s’agit d’un « établissement en difficulté » confronté à des problématiques particulières, qui bénéficie dès lors d’un « dispositif spécifique de contractualisation », avec audit, « dispositif de rattrapage spécifique », évaluation annuelle.

Dans les écoles, les directions des établissements sont amenées à jouer un rôle plus important dans le leadership des équipes pédagogiques et devraient bénéficier d’une aide administrative renforcée. Elles devraient à minima pouvoir donner un avis lors de l’engagement du personnel enseignant.

Au niveau de l’administration centrale elle-même, les services doivent être complètement réorganisés pour répondre à la nouvelle architecture du système. Le corps des DCO et les Directions zonales doivent eux-mêmes être créés et font l’objet d’un décret distinct [9].

Cette transformation a d’autres corollaires qui devront faire l’objet de décrets ultérieurs (inspection, directions, pouvoirs organisateurs)

Pseudo-contrat

Le nouveau système est basé sur une définition contractuelle des rapports entre le pouvoir régulateur, les PO et les établissements scolaires. Que la forme du contrat soit requise dans les conventions entre personnes privées, ou, par extension, qu’un contrat définisse les droits et devoirs convenus entre un pouvoir public et une entité privée à qui il délègue une mission, cela s’entend. Mais la forme du contrat est-elle appropriée pour caractériser les relations entre une autorité publique et ses propres institutions ou entre l’État et les services publics qu’organisent d’autres pouvoirs publics ?

Or, de quoi parle-t-on ? De l’organisation générale du système éducatif d’un État moderne ou seulement de l’organisation de la relation qu’entretient cet État avec les initiatives privées à qui il délègue certaines missions qu’il subsidie ? Il semble qu’on prenne la partie pour le tout et que ce soit celle-ci qui doive servir de modèle au système dans son ensemble, contraignant l’État à entretenir avec ses propres écoles ou avec celles des autres pouvoirs publics, la forme de relation qui convient au privé. Qui plus est, il s’agit en vérité dans le cas présent moins de véritables contrats que d’une relation pseudo contractuelle.

Le Conseil d’État lui-même, garant du respect de la liberté d’enseignement, s’est montré circonspect à l’égard de la nature véritablement contractuelle des relations entre le pouvoir régulateur, les PO et les établissements scolaires.

Dans sa réponse, la Ministre insistait sur les engagements réciproques des parties et sur le fait que « le contrat traduit une approbation réciproque » qui intervient au terme de la procédure de concertation entre le DCO et l’établissement scolaire.

Le Conseil d’État n’était pas satisfait de cette explication et persista dans son avis.

Le Conseil d’État ne sera pas suivi. La liberté de l’enseignement conduit ainsi à une solution biaisée, basée sur des pseudo-contrats, conçue pour associer à la politique d’enseignement définie par l’autorité publique, les initiatives privées qui résultent de cette même liberté d’enseignement. Au prix, nous le verrons plus loin, de la relégation de son propre pouvoir d’initiative, dans une forme juridique distincte, qui l’éloigne des principes d’un pouvoir public organique.

Mais l’analyse conduit à suspecter, au-delà de la nature contractuelle – ou non – du « contrat d’objectif », que ce qui devrait la sous-tendre, à savoir, la liberté, ou pour le dire autrement, l’autonomie des parties contractantes, fait également défaut. Pour la Ligue, il s’agit tout bonnement d’une trahison du Pacte scolaire.

Autonomie factice

Loin d’apporter une plus grande autonomie aux équipes éducatives et de leur donner la pleine responsabilité de leurs choix pédagogiques et organisationnels – une mesure réclamée de longue date par la Ligue – le nouveau système dissémine, au plus près des écoles, des délégués investis de l’autorité de l’État, qui, par on ne sait quelle magie ou quelle prescience technocratique, seraient mieux à même que les équipes pédagogiques elles-mêmes, de décider des objectifs pédagogiques et des stratégies à mettre en œuvre, pour les élèves de leur propre école.

Que l’autorité publique veuille contrôler l’utilisation des moyens publics qu’elle octroie à des initiatives privées n’est pas contestable. Mais faut-il, pour autant, que ce contrôle s’introduise jusque dans la détermination des objectifs pédagogiques et le choix des moyens que font les enseignants, au risque de substituer, à des objectifs concrets, définis en relation directe avec l’activité menée en classe par les enseignants, des objectifs de gestion, conçus au niveau du pilotage de l’ensemble du système d’enseignement ?

Un pouvoir régulateur distinct du pouvoir organisateur

Les nouveaux rapports entre le pouvoir régulateur d’une part, les PO et les écoles d’autre part, impliquent, selon le gouvernement de la Communauté française, « la séparation entre WBE, le réseau d’enseignement organisé par la Fédération et les services du Gouvernement en charge du rôle de régulateur de l’enseignement au sein de deux entités juridiquement distinctes. Il importe en effet que tous les réseaux d’enseignement s’inscrivent dans la même logique de contractualisation avec un pouvoir régulateur dont les services ne peuvent se confondre avec ceux d’un de ces réseaux. Cette séparation doit faire l’objet d’un autre projet de décret qui doit entrer en vigueur concomitamment aux dispositions du présent projet qui concernent la conclusion des contrats d’objectifs. »[10]

Le gouvernement avait entamé à cette fin des consultations avec les autres partis représentés au Parlement de la Communauté française. Cette scission suppose, en effet, pour être adoptée, une majorité des deux tiers (article 24 de la Constitution). On sait ce qu’il en est advenu et le vote du Décret en février 2019.

En son temps, la Ligue avait posé plusieurs questions qui nous semblent importantes :

  • Comment la nouvelle forme juridique va-t-elle préserver les caractères propres de l’enseignement de l’État et garantir le plein respect des principes du service public organique, en particulier la nature publique de la personnalité juridique, la continuité du service, l’égalité des usagers ?
  • Comment la nouvelle organisation va-t-elle assurer le droit d’initiative de la Communauté française de créer des écoles ou des sections d’écoles pour assurer le libre choix, partout où le besoin s’en fait sentir ?
  • Comment la nouvelle forme juridique va-t-elle garantir à l’avenir le plein financement des écoles du réseau de la Communauté française au lieu d’en faire un réseau subsidié, qui, ne pouvant s’appuyer sur d’autres sources de subsides (d’origines publiques ou privées), sera rapidement exposé à l’étranglement ?
  • Que deviennent les infrastructures scolaires de la Communauté française ? Comment seront-elles, ainsi que leur entretien, financées à l’avenir ?

Or, la forme juridique du pouvoir organisateur qui a été choisie à cet égard soulève selon nous de nombreuses interrogations : un organisme d’intérêt public (OIP) de type B dont les modalités sont définies dans la loi du 16 mars 1954. Mais pourquoi ne pas envisager d’autres voies, telle, par exemple, la reprise des écoles du réseau de la Communauté française par les Régions ? À tout le moins, l’importance de la décision aurait justifié que toutes les voies soient explorées et qu’elles fassent l’objet d’un débat public, au lieu simplement, d’une négociation à huis clos pour former une majorité d’abord alternative jusqu’à ce que finalement le MR s’associe, dans un conclave secret.

Les organes de décision, leur composition et leurs responsabilités, les procédures de décision adoptées posent tout autant de questions : le modèle s’inspire de l’expérience du réseau flamand GO (Het GO! onderwijs van de Vlaamse Gemeenschap) ; les Conseils d’administration seront établis avec un système de répartition selon la clé D’Hondt. Comment évitera-t-on de faire du réseau de la Communauté française, un organe semi-public, ou semi-privé, mais dans les faits, éloigné d’un service public authentique, placé sous la responsabilité directe de mandataires publics et de responsables politiques qui s’engagent pour l’intérêt général ?

Comment surtout ne pas mettre la nouvelle structure sur le même pied que les autres PO et donc susciter les revendications de l’enseignement catholique vers une égalité de subventionnement ? Là, la réponse n’a pas tardé de la part du SeGEC  !

La Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation Permanente, a attendu des réponses… qui ne sont jamais venues, sauf celle du SeGEC ! Or ces questions auraient dû faire l’objet d’un débat transparent au Parlement. Elle demandait aussi que les décisions à prendre ne soient pas prises de façon hâtive, à cause d’une réforme générale du système, où l’on a mis la charrue avant les bœufs, ou à cause d’un calendrier électoral dont les échéances sont trop proches.

Mais non  ! Le Décret a été voté le 7 février 2019 avec la majorité des deux-tiers requise.

Dans un brillant article paru dans Le Vif-L’Express du 2 août 2018, Guy Martin, Directeur général honoraire de l’enseignement et de la formation de la Province de Liège parlait, à propos de l’enseignement supérieur et du décret « Paysage » d’un processus de déresponsabilisation des élus d’un bien public essentiel pour le développement du peuple : l’enseignement supérieur. Et dans la foulée et il constatait que l’on assiste au même processus pour l’enseignement obligatoire avec, à la suite du transfert de responsabilité pour l’enseignement organisé vers un OIP, au même phénomène ! Bien sûr, pour le moment, le mécanisme ne concerne que l’enseignement organisé par la Communauté, mais le tour viendra pour tout l’enseignement public subventionné, soyons en sûrs. La Ligue ne peut qu’être d’accord avec Guy Martin. Et avec l’une de ses conclusions, : « Ce plan est cependant présenté comme visant à donner plus de force et de souplesse à l’enseignement officiel ainsi rationalisé… alors qu’il permettra de faire des économies qui serviront probablement… à mieux financer l’enseignement privé ! » La Ligue ne dit pas autre chose depuis 155 ans !

Position de la LEEP aujourd’hui

Autonomisation

En matière d’autonomisation, on l’aura compris : elle ne sera pas présente dans la nouvelle structure générale de l’Enseignement. Mais la notion d’autonomie est délicate à manier. De quelle autonomie parle-t-on ? Des PO ? Du Chef d’établissement, des équipes pédagogiques ? Au sein d’un PO donné, comment est comprise l’autonomie ? Il faut aussi se rappeler le rôle du responsable de l’enseignement dans les PO communaux ou provinciaux qui n’ont d’autorité que sur leurs écoles et non sur toutes les autres qui se trouvent sur sa commune ou dans sa province (libres et organisées). Dans un système de quasi-marché, la tendance est forte de cadenasser ses écoles pour mieux lutter contre la concurrence…

Scission et création de l’OIP WBE

Le décret est voté. Nous ne sommes pas d’accord avec lui mais notre combat pour l’enseignement public et particulièrement celui de la Communauté française doit continuer. Ce n’est pas le moment de le lâcher.

Et en tous cas, il faut nous unir pour que l’enseignement catholique n’arrive pas à ses fins : l’égalité de subventionnement entre l’enseignement de la Communauté et le SeGEC. La dernière campagne de presse de ce dernier, scandaleuse pour nous, est à la mesure des revendications de tous temps du monde catholique : revendiquer la liberté sans devoir en subir les contraintes. Le slogan « un élève = un élève » fait écho à celui d’antan « un enfant = un enfant », dont coût pour la Communauté : 66 millions € ! pour permettre à un enseignement d’être libre et de faire ce qu’il lui plaît.

À partir du moment où le SeGEC revendique le statut de, je cite, « Service public fonctionnel » qui est reconnu par la Cour Constitutionnelle, il n’est pas étonnant qu’il en demande le financement à égalité avec le vrai service public. Alors que la différence est grande entre un service au public organisé par un organisme privé et un service public appartenant au peuple sous son contrôle démocratique.

Car si effectivement il est soumis aux mêmes règles que l’enseignement officiel en matière de législation je dirais générale (il faudrait évidemment détailler), il se réclame d’une totale liberté dans d’autres domaines : l’exemple de la mise en œuvre du Cours de citoyenneté en est un exemple flagrant. De plus, ses autorités rejettent avec dédain toute allusion au maintien d’une structure héritée de la Belgique du XIXe siècle : la pilarisation. Or ils sont les premiers à la pratiquer de manière totalement hypocrite. Avoir tous les avantages de la liberté sans en avoir les devoirs et surtout sur le compte de l’argent public !

Je voudrais aussi rappeler un exemple historique que l’on a tendance à oublier : la Belgique a connu deux guerres scolaires très dures. Le déclenchement de ces deux guerres a été le fait des forces catholiques en réaction à deux lois (1879 et 1955) prises pour lutter contre les mesures du Parti Catholique au bénéfice de l’Enseignement libre et au détriment de l’Enseignement public. Le Pacte scolaire n’a rien résolu à long terme pour nous. Les revendications sont toujours les mêmes !

Et nous sommes à nouveau avec la demande d’égalité de financement : pour la Ligue c’est non négociable : l’argent public pour l’enseignement public. La liberté cela se paie : pour l’enseignement privé, de l’argent privé.

Et évidemment, on conçoit dans cette situation que le moment est favorable pour eux de cette revendication, puisque le verrou de la situation de l’enseignement de la Communauté saute au profit d’une structure d’OIP, situation que le monde catholique a largement favorisée devant l’apathie ou d’autres intérêts du monde politique.

L’action de la Ligue se fait sur le terrain, mais elle souhaite aussi compter sur les associations amies qui peuvent défendre les valeurs et mener avec elle les combats qu’elle estime légitimes dans un pays où le poids du pilier catholique (même si la pratique religieuse est en retrait) est toujours important et ce pour la défense d’un enseignement public de qualité, seul garant d’une neutralité constitutionnelle.

Le présent article reprend sous une forme légèrement remaniée la conférence que j’ai donnée
le 15 mai 2019 à la tribune de l’Association Belge des Athées.


Notes

  1. « L’enseignement est libre  ; toute mesure préventive est interdite : la répression des délits n’est réglée que par la loi. L’instruction publique donnée aux frais de l’État est également réglée par la loi ».
  2. Eugène Goblet d’Alviella.
  3. Jules Malou.
  4. Patrick Hullebroec, Éduquer n°63 : Dossier p.7, juin 2008.
  5. « Qui tend à empêcher de se produire » (Petit Robert).
  6. Anne Van Haecht, Éduquer n°63 : Dossier p.11, juin 2008.
  7. Projet de décret du 6 juillet 2018 modifiant le décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre afin de déployer un nouveau cadre de pilotage, contractualisant les relations entre la Communauté française et les établissements scolaires (Doc. parl. 665, 2017-2018, n°1), devenu le Décret du 13 septembre 2018 (même intitulé).
  8. En particulier le chapitre 11 du décret dit « Fourre-tout » du 4 février 2016 et le chapitre 1 du Décret relatif à la mise en œuvre du plan de pilotage des établissements scolaires […] du 19 juillet 2017.
  9. Décret du 13 septembre 2018 portant création du service général de pilotage des écoles et centres psycho-médico-sociaux et fixant le statut des directeurs de zone et délégués aux contrats d’objectifs.
  10. Exposé des motifs du projet de décret du 6 juillet 2018 modifiant le décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre afin de déployer un nouveau cadre de pilotage, contractualisant les relations entre la Communauté française et les établissements scolaires (Doc. parl. 665, 2017-2018, n°1).