Laïcité… mais laquelle?(II)
Et la laïcité à la française dans tout ça ?
Serge Deruette
Serait-il qu’en France, en termes de laïcité et de définition de celle-ci, les choses soient plus simples qu’en Belgique[1] ? Ou du moins, l’aient été… car elles s’y compliquent fort depuis la fin du siècle dernier, ou du moins y sont passablement modifiées !
À partir de la fin du XVIIIe, avec la Révolution et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, tout était clair comme de l’eau de roche en ce qui concernait la laïcité, que celle-ci y soit un principe d’organisation de l’État, comme sous une grande partie des cinq Républiques, ou qu’au contraire, elle n’y soit pas, comme à l’époque napoléonienne avec le Concordat (depuis 1801 déjà), à la Restauration comme sous la monarchie de Juillet et le Second Empire.
Le mot lui-même de « laïcité » apparaît pourtant assez tardivement, puisqu’il date des débuts de la IIIe République, ce modèle de la laïcité « à la française ». Il doit sa première définition, tout aussi claire que celle issue de la Révolution, à Ferdinand Buisson, un des collaborateurs de Jules Ferry, qui, à l’occasion des débats sur la laïcisation de l’État, proposait en 1882, dans son Dictionnaire de pédagogie, sous l’article « Laïcité » :
L’État laïque est un État neutre entre les cultes, indépendant de tous les clergés, dégagé de toute conception théologique[2].
Clair et net aussi donc. Limpide.
Au début du XXe siècle, la rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège en 1904, signant la fin du Concordat, permettait de proclamer enfin définitivement la séparation de l’Église catholique et de l’État. Elle sera consacrée par le vote, le 9 décembre 1905, de la fameuse « loi de 1905 » qui, tout à la fois, garantit « la liberté de conscience » et « le libre exercice des cultes » tout comme elle pose le principe de la séparation des Églises et de l’État.
Ces « Principes » qui y sont énoncés dans ses articles 1 et 2, les voici à toutes fins utiles rappelés :
Article 1. La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
Article 2. La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. […]
Clair et net. Limpide, elle aussi, cette loi[3].
Rien n’empêche donc, avec une telle disposition législative que des croyants de toutes obédiences, pour peu qu’ils respectent la séparation de leur culte avec l’État, puissent partager avec les non-croyants de tous bords cette définition qui leur garantit de pouvoir le pratiquer.
Ce le sera pendant près d’un siècle, tout le reste du XXe siècle en fait, et jusqu’au tout début du nôtre. Car, alors que partout ailleurs dans les États de droit, cela ne posait aucun problème, en France, un bout de tissu va déclencher les passions…
Ce que voile le voile
La laïcité à la française, de ce fait, si simple, si claire et limpide dans sa formulation et dans sa mise en œuvre, en prendra un coup. Même si, comme toujours, le feu couvait sous la cendre, c’est en 1989 que tout a commencé (deux cents ans après… !), il y a un tiers de siècle déjà donc, vu d’aujourd’hui, avec ces trois jeunes filles de Creil (que sont-elles devenues ?…) exclues de leur école, sous prétexte de non-respect de la laïcité scolaire, au motif d’avoir refusé d’enlever leur voile pour suivre les cours.
Pourtant, dans un premier temps, la laïcité à la française a tenu bon : le Conseil d’État, sollicité par le ministre de l’Éducation nationale, Lionel Jospin, s’était montré cohérent dans son arrêt avec les dispositions de la loi de 1905. Pour lui, le port de signes religieux « n’est pas lui-même incompatible avec le principe de laïcité », sauf si ce port est ostentatoire ou revendicatif et constitue « un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande ». Ce qu’il n’était pas.
Mais le débat était lancé, déchaînant les passions. Signe avant-coureur, les trois jeunes filles avaient pu réintégrer le collège, mais en retirant leur voile pour ce faire cependant : la « laïcité à la française », celle initiée par la loi de 1905, était ébranlée. Il ne faudra plus guère attendre avant qu’elle soit purement et simplement remise en cause.
Et effectivement, à partir de 2001 (l’Odyssée du monde !), les attentats du 11 Septembre changeront la donne et feront basculer le rapport des forces sur cette question impliquant l’islam, amalgamé pour beaucoup, sans plus aucun garde-fou, à l’islamisme.
Cela se passe aussi, rappelons-le, dans un contexte où l’Union soviétique était tombée, et où le capitalisme mondial, s’il en profitait, était lui aussi en crise : les fractures sociales s’y renforçaient. C’est dans ce cadre historique que l’ennemi idéologique du monde occidental, de communiste qu’il avait géopolitiquement été, se verra maintenant remplacé par l’islamisme, l’intégrisme, et, par extension facile, l’islam comme tel.
L’OTAN dont la vocation, affirmée depuis l’origine face au monde soviétique, était purement défensive, ce pour quoi, notons-le aussi en passant, elle n’avait jamais dû tirer le moindre coup de canon, entrait maintenant en guerre ouverte, déclarée, contre ce monde islamique, terreau du terrorisme.
En France, en plus de ce contexte international chargé, le contexte politique interne aussi pèsera sur le débat où Le Pen (le père de l’autre) s’était hissé au second tour de l’élection présidentielle, déplaçant le curseur vers ses thèmes électoraux et idéologiques de prédilection.
Avec comme oripeaux ces bouts de tissu qui enflamment le débat, l’islam devenait dès lors bien vite, et sans autre forme de procès, le mouton noir tout désigné que l’on pointe du doigt comme menace du désastre, et les musulmans en étaient désormais les boucs émissaires. Ainsi le voile aura-t-il été ce par quoi la laïcité « à la française » aura opéré sa métamorphose, du moins ce par quoi se sera cristallisée sa mue.
De simple et claire qu’elle était, sa définition deviendra complexe et embrouillée. De séparation de l’État et des cultes qu’elle défendait dans les idées comme dans les faits, elle se transformera ainsi en dénonciation d’un culte, grevé pour la circonstance de tous les maux, qu’il faut abattre dans ses manifestations visibles, dans ses signes religieux apparents. Et non plus seulement au sein de l’État, mais dans l’espace public, tout l’espace public, l’école comprise.
Celle-ci, ne répondant plus à sa mission émancipatrice pour toutes et tous dont elle se revendique, pourra maintenant, en arguant de la laïcité, se permettre d’exclure en toute bonne conscience tranquille de jeunes collégiennes qui, pour être jugées « non émancipées », sont déclarées « non émancipables ».
Relativité et courbure de la laïcité
Quand, en mai 2003, dans son rapport qui lui avait été demandé par le Premier ministre Raffarin, le député RPR François Baroin considérera que la laïcité est menacée par le « communautarisme »[4], les jours de la laïcitéfrançaise telle que le Conseil d’État en avait encore rappelé les termes en 1989, seront comptés.
Tout se précipite alors. Une commission instituée par le président Chirac deux mois plus tard à peine, en juillet 2003, pour réfléchir sur « l’application du principe de laïcité dans la République » et présidée par le médiateur de la République Bernard Stasi, rend son rapport en décembre de cette année. Il débouche sur la loi de 2004 qui, renversant la jurisprudence du Conseil d’État, interdit les signes religieux à l’école[5]. La laïcité « à la française » de la loi du 9 décembre 1905 avait vécu.
Il devait être écrit, en filigranes de la nouvelle loi du 15 mars 2004 qui s’y référait pourtant, s’en revendiquait et disait la conforter et la préciser, qu’elle ne pourrait pas être centenaire. Car dans quel livre aurait-il été noté qu’en France, où elle avait si clairement été exprimée depuis la Révolution, où elle sera encore réaffirmée au début du XXe siècle, une nouvelle définition de la laïcité verrait le jour au début du XXIe, qui la renverserait ?
Alors qu’à l’origine, il y a deux siècles, elle visait à émanciper et à libérer la société de l’emprise millénaire d’une Église bénissant un absolutisme fait de censures et de bans, à combattre les interdits de la religion qui étaient – et sont encore, nota bene – autant de proscriptions, voici maintenant que la laïcité se fait elle-même porteuse d’interdictions et d’exclusions.
Opposée à l’origine à la puissante institution qu’était l’Église catholique, qui considérait sa religion comme un instrument de pouvoir, elle s’oppose aujourd’hui au groupe social fragilisé qu’est la communauté musulmane, qui voit en sa religion un refuge contre l’exclusion dont il est l’objet.
Cette conception nouvelle de la laïcité le fait certes ici avec la bonne conscience de combattre l’oppression religieuse, celle d’un islam au nom duquel, en revendiquant de voiler les femmes pour les soustraire à la concupiscence (quel mot !!) masculine, on les réduit à être, non des sujets libres, mais des objets sexuels jetés en pâture aux désirs des hommes – tiens, question en passant : les femmes de la pornographie occidentale, fort dévoilées, elles, ne le sont-elles pas aussi ?
Cela est vrai, incontestablement, que la religion asservit, et l’islam surtout aujourd’hui, tout particulièrement quand il est pratiqué de la façon la plus rétrograde – comme l’était, soit dit ici encore en passant, le catholicisme il y à peine deux générations, avant Vatican II et les Golden Sixties.
Mais que le voile soit aussi un signe que brandissent ces femmes de l’immigration à la face d’un Occident qui les rejette, cela est vrai aussi, tout comme est vrai encore qu’il soit le signe manifeste d’un repli identitaire perçu comme salutaire sur sa propre communauté d’origine et d’appartenance, lorsque la « communauté d’adoption » ne les adopte pas et les méprise, quoiqu’elles fassent, comme immigrées, comme femmes, comme pauvres…
Que l’on se rassure, il n’entre pas dans mes intentions de rouvrir ici un énième débat sur le voile… Qui d’ailleurs pourrait-il ici convaincre son interlocuteur de changer d’opinion à son propos ? Que cela ne nous empêche cependant pas, quelque beau que soit le prétexte et juste l’idée de combattre l’oppression religieuse, de réfléchir sur le sens de la laïcité. Sur celui que nous devons lui donner pour qu’elle n’aboutisse pas à restreindre les droits individuels fondamentaux, au rang desquels se trouvent la liberté de conscience et celle d’exprimer ses opinions, qu’elles soient ou non religieuses.
Et donc, qu’elles nous plaisent ou non… Tant il est vrai qu’il est toujours si simple de défendre la liberté d’expression pour ceux qui partagent nos idées et nos valeurs. Mais que cela devient toujours plus compliqué quand il s’agit d’idées et de valeurs qui ne sont pas les nôtres, pas celles de nos habitudes, et qui nous incommodent, nous dérangent ou nous font peur.
Quelques réflexions laïques
Comme le mettent en évidence les juristes français Stéphanie Hennette-Vauchez et Vincent Valentin, « d’un principe garantissant la liberté des cultes » tel qu’il est affirmé en France dans la loi de 1905, la laïcité est donc bien devenue, quatre-vingt-dix-neuf ans plus tard, tel que redéfinie dans la loi de 2004, « le fondement de restrictions à la liberté religieuse »[6].
La laïcité, affirment encore ces deux juristes, est pourtant « un devoir pour l’État » que l’on ne peut confondre avec « un état de la société »[7]. Ils dénoncent dès lors cette idée, aussi opposée à la loi de 1905 qu’elle est répandue aujourd’hui, que la religion doive être « une affaire purement privée »[8] : elle l’est certes, mais elle doit aussi, comme toute opinion légitime, pouvoir être exprimée et manifestée, donc pouvoir être aussi « une affaire publique ». Que serait une société dans laquelle la liberté d’opinion n’impliquerait pas par définition la liberté d’exprimer ces opinions ?
Dans le même sens, Jean Baubérot, référence française majeure en matière d’histoire et de sociologie de la laïcité, constate que la conception de la laïcité initiée par le rapport Baroin en 2003 et consacrée par la loi de 2004, alors même qu’elle se réclame de l’esprit de la loi de 1905, s’inscrit en faux avec elle : là où celle-là s’opposait alors aux Églises, celle-ci s’oppose aujourd’hui aux expressions religieuses de communautés à la fois fragilisées et stigmatisées[9].
Henri Goldman, que l’on connaît pour mettre si souvent en garde contre toute dérive raciste qui pourrait s’insinuer derrière l’affirmation de l’idée de laïcité, remarque quant à lui que cette nouvelle forme de laïcité apparue à la fin du XXe siècle l’a été dans un contexte où le « racisme classique » glissait « vers une nouvelle forme de rejet d’une partie de la population ». Celui contre qui « la colère populaire pouvait se détourner » n’était plus l’Arabe en tant que tel, mais le musulman, « soit la même personne mais envisagée par un autre biais ». C’est ainsi que « la différence perçue comme menaçante » ayant pris forme religieuse, la laïcité pourra être appelée à la rescousse pour, ainsi instrumentalisée, « la tenir à distance, voire la refouler »[10].
Mobilisée et détournée de la sorte, elle s’en retrouve dénaturée et débouche sur l’exclusion, comme le notait pour sa part, Pierre Tartakowsky il y a dix ans, lorsqu’il était président de la Ligue française des Droits de l’Homme. Il voyait dans cette conception prétendument laïque
la généralisation d’une dialectique un peu perverse qui vise à faire sortir du droit commun toute une catégorie de la population construite arbitrairement, les musulmans, au prétexte qu’eux-mêmes voudraient s’y soustraire […] une dialectique d’exclusion socio-ethnique et, en général, des plus pauvres.
Il ajoutait que la laïcité, parce qu’elle « pose un principe d’égalité entre croyants et non-croyants, et assure la citoyenneté »,
interpelle aussi l’universalisme des droits, car elle s’inscrit dedans en même temps qu’elle lui pose un problème. L’universalisme des droits, pour être vraiment universel, ne peut pas être totalement uniforme. C’est même en gagnant en diversité qu’il affirme l’universalité de l’humanité[11].
Jean-Philippe Schreiber ne disait rien d’autre lorsque, interrogé en 2015 sur le port du voile dans la fonction publique, il répondait en renvoyant la question : « Mais est-ce que c’est ça, la laïcité ? Est-ce interdire les signes religieux partout ? ». Il ajoutait :
Et surtout, qu’on ne prenne pas la laïcité pour ce qu’en font certains aujourd’hui à droite et à l’extrême droite, à savoir une laïcité uniquement défensive, qui aurait pour seul but de brider l’expression convictionnelle de l’islam et du protestantisme évangélique. La laïcité ne doit pas être brandie comme un outil défensif, un rempart civilisationnel contre une supposée menace des fondamentalismes religieux[12].
Discutant de la question de son inscription dans la Constitution qui, faisant assez régulièrement surface, ressurgissait alors avec en toile de fond la récurrente exigence de l’interdiction du voile, il affirmait,
Inscrire la laïcité pour prohiber, comme un rempart culturel ou un outil juridique, c’est aller à l’inverse de la laïcité même, qui vise d’abord à mettre tous les citoyens sur le même pied. Nous devons être attentifs à ce que cette « laïcité » n’entraîne pas un rejet brutal des particularismes, ce qui irait à rebours par ailleurs de l’évolution de nos sociétés. Travailler à la laïcité, c’est travailler à l’égalité, une valeur en crise aujourd’hui[13].
Valentine Zuber insistait pour sa part sur ces valeurs de liberté et d’égalité que, dans les débats qui l’agitent aujourd’hui en France, la laïcité doit respecter et promouvoir pour répondre à ses exigences :
l’État doit être le garant du respect de la liberté de religion et de conviction de tous et s’assurer que l’égalité civile de tous les individus, indépendamment de leur éventuelle appartenance religieuse, est réelle[14].
Cette conception de la laïcité correspond à sa définition telle qu’elle a été historiquement construite en France à partir de la pensée des Lumières, telle qu’elle a été envisagée par les révolutionnaires français, ceux de ’89 comme ceux de ’93, et telle qu’elle a été rappelée sous la IIIe République, coulée en force de loi en 1905.
Et vogue la galère…
Un siècle plus tard, les vents contraires ont pourtant mené à sa redéfinition, elle aussi coulée en force de loi, en 2004. Ce faisant, d’anticléricale qu’elle était et correspondant parfaitement ainsi à sa définition en termes d’obligation pour l’État d’être séparé de l’Église (et, par voie de conséquence, de toutes les Églises), elle devient maintenant antireligieuse, ce qui, de fait, ne concorde plus avec sa définition.
Personne n’est dupe de la raison de ce changement : la religion en cause n’est plus la même. Si au début du XXesiècle, la IIIe République voulait se prémunir contre les assauts répétés de l’Église catholique, en ce début de XXIe, c’est en revanche bien l’émergence de l’islam dans la société occidentale qui est dans le collimateur de l’État.
D’un État laïque par définition, mais d’une définition dont le curseur s’est déplacé de l’obligation de séparation d’avec les cultes à l’interdiction faite à des citoyens de manifester leurs convictions religieuses dans l’espace public et – quelle que soit l’opinion que nous ayons, nous, à son sujet, ne nous voilons pas la face ! – avec le voile comme emblème de cette transposition, celui que l’on appelle islamique.
Est-ce cette laïcité-là que nous voulons ? Une laïcité qui ne serait plus conçue comme un devoir de l’État, mais comme une limite posée à la liberté religieuse, c’est-à-dire à la liberté d’avoir des opinions religieuses et, les ayant, de les exprimer ?
Est-ce parce que, avec notre bonne conscience d’athées et de libres-penseurs, nous désirons ardemment que les religions régressent, avec tout ce qui va avec : l’irrationalisme, le mensonge, l’obscurantisme… que nous pouvons nous permettre de réclamer que l’on interdise dans l’espace public l’expression et la manifestation de conceptions religieuses ?
Serions-nous, sur cette question, je n’ose pas dire consciemment mais, disons alors, « à l’insu de notre plein gré », sur la même ligne que ces politiques répressives des droits humains mises en œuvre par des États où la liberté d’exprimer et de manifester ses idées est impitoyablement réprimée, et que nous dénonçons avec virulence sous ce terme pas toujours bien explicité – en sciences politiques non plus d’ailleurs – de « totalitarisme » ou, horresco referens, de stalinisme ?
… ou non
Pour combattre l’illusion religieuse et l’imposture cléricale, bien plus que de lois, c’est d’arguments dont nous avons besoin, de dialogue, de conviction, de raison, et de passion aussi.
Et puis, le savons-nous, le temps joue pour nous : ces jeunes femmes voilées qui, pour peu qu’elles puissent poursuivre sereinement leur parcours scolaire si tant est qu’elles doivent le faire, ne se déferont-elles pas plus facilement de leur voile que si on leur interdit l’accès aux études ? Et leurs filles ? Ne peut-on penser qu’elles seront moins enclines à suivre « à la lettre » les préceptes religieux, voire à les suivre tout court, si elles naissent et grandissent dans une famille au niveau-socio-culturel plus élevé ?
La laïcité, à la différence des idées religieuses, à la différence aussi de l’incroyance, n’est pas une opinion, elle est un devoir imposé à l’État. Elle doit en conséquence être exercée dans le respect des droits fondamentaux de chacune et de chacun, cela va sans dire, et pour peu, cela va de soi aussi, que chacune et chacun n’y contreviennent pas.
Ainsi que le CAL peut-il l’affirmer fort à propos aujourd’hui, en 2023, en faisant même un « adage » :
La laïcité n’est pas une opinion, c’est la liberté d’en avoir une[15].
On s’y accordera donc, si on le veut bien : un peu de cohérence, pour être laïque, n’est-ce pas. Un peu de tolérance aussi. Cela ne peut nuire à l’éthique laïque.
[1] Le premier volet de cette contribution au débat : « La laïcité… mais laquelle ? (I) Une laïcité ou des laïcités ! » a été publié dans la précédente Newsletter de l’ABA, n° 42, aussi dans la livraison de 2024 de la revue L’athée, n° 11.
[2] Valentine Zuber, « La laïcité française, une exception historique, des principes partagés », Revue du droit des religions, 7, 2019, journals.openedition.org/rdr/305). Le Littré fait remonter le terme à 1871 (cnrtl.fr/definition/laicite).
[3] Laissons la question que, nonobstant sa clarté, elle ne soit pas complète, en ce qu’elle ne concerne pas l’Alsace-Moselle (ces régions qui étaient alors allemandes) et certains territoires d’outre-mer. C’est ici le principe général « français » qui nous intéresse, pas ses exceptions.
[4] Voir ce rapport sous : assemblee-nationale.fr/12/pdf/rapports/r1275-t1.pdf
[5] Voir à ce propos l’excellente analyse de Françoise Lorcerie, « La “loi sur le voile” : une entreprise politique », Droit et société, 2008/1 (n° 68), pp. 53-74. DOI : 10.3917/drs.068.0053. URL : cairn.info/revue-droit-et-societe1-2008-1-page-53.htm
[6] Stéphanie Hennette-Vauchez et Vincent Valentin, L’affaire Baby Loup ou la nouvelle laïcité, LGDJ – Lextenso éditions, coll. Exégèses, 2014, p. 29.
[7] liberation.fr/societe/2014/11/28/la-presence-dela-religion-est-desormais-jugee-insupportable_1152826/
[8] Ibid.
[9] Jean Baubérot, chap. 7, « Troisième seuil de laïcité et nouveaux défis », pp. 105 sq. du « Que sais-je ? » Histoire de la laïcité en France, PUF, 2013.
[10] Henri Goldman, « Nouvelle laïcité ou nouveau racisme ? », upjb.be/nouvelle-laicite-ou-nouveau-racisme, 17 janv. 2017.
[11] Pierre Tartakowsky, dans L’Humanité, 17 septembre 2013, « La laïcité aujourd’hui. “Une valeur universelle, plus que jamais neuve” » (humanite.fr/societe/la-laicite-aujourd-hui-une-valeur-universelle-plus-549021).
[12] Jean-Philippe Schreiber, https://www.lesoir.be/19569/article/2015-12-31/jean-philippe-schreiber-la-laicite-est-un-bien-commun-pas-un-rempart
[13] Ibid.
[14] Valentine Zuber, « La laïcité, un produit de l’histoire et un outil au service des droits humains », Vie sociale, 2018/1 (n° 21), Éd. Ères, p. 49 ; cairn.info/revue-vie-sociale-2018-1-page-45.htm ; repris dans Valentine Zuber, op. cit.
[15] https://www.laicite.be/la-laicite/la-laicite-un-concept-simple-a-definir
Vous devez être connecté pour commenter.