L’athéisme, une religion pas comme les autres…
Ainsi donc Alain de Botton franchit le cap. En sortant son prochain livre « Religion for Atheists » (1), il suggère de muter l’athéisme en une copie pas exactement conforme des religions et de lui consacrer des temples… Cela va-t-il décrédibiliser l’athéisme ? Un piège à cons ? Si l’athéisme est considéré comme une religion, les extrémistes religieux devront-ils se résoudre à retourner leur veste en militant dorénavant pour le droit de critiquer les religions ?
Sacrilège, ineptie, Affligeant, contradictoire, stupide, du grand n’importe quoi…
Mais bon dieu de bon sang, les athées se justifient de ne pas être une religion justement en argumentant qu’il n’y a pas de dogme, de culte, de protocole dans l’athéisme !!! Dire que l’athéisme est une religion, c’est comme affirmer qu’un anti-clope pourrait être considéré comme un adorateur de la pipe… N’y voyez surtout pas un mauvais jeu de mots.
Well, well, well… Voilà qui redistribue les cartes… Voilà que maintenant, c’est un athée lui-même qui souhaite scier la branche sur laquelle il est assis.
J’ai toujours trouvé cette idée très mauvaise, voir très agaçante… Pourtant en y réfléchissant, je me dis que ce n’est pas à moi de définir comment l’athéisme des autres doit être… Si cela plaît à un athée de construire un temple, grand bien lui fasse… Tant qu’il ne m’oblige pas d’y aller pour vénérer le grand rien…
Par contre, la proposition d’Alain de Botton de dédier ces temples à l’amour, l’amitié, au calme ou autres pansements romantico zen me parait tout à fait saugrenue. Ces temples ne pourraient symboliser qu’une seule chose : la non-croyance.
Le concept d’Alain de Botton est de garder ce qu’il y a de bien dans les religions (si, si, cela existe, foi d’athée) et de rejeter ce qui est néfaste (là, les exemples sont légion).
Le “copisme” pourrait se produire sur au moins deux niveaux. L’aspect moral et les us et coutumes.
Il y a en effet une morale juive, chrétienne ou musulmane dont on peut s’inspirer. Par exemple, on pourrait dire qu’en tant qu’athée on adhère à ce passage dans la Bible :
Lv 19:10 – « Tu ne grappilleras pas ta vigne et tu ne ramasseras pas les fruits tombés dans ton verger. Tu les abandonneras au pauvre et à l’étranger. »
Et à celui-ci du Coran (si l’on fait fi du rapport à dieu) :
Sourate al-Ma’ida, verset 8 « Ô les croyants! Soyez stricts dans vos devoirs envers Allah et soyez des témoins équitables. Et que la haine pour un peuple ne vous incite pas à être injuste. Pratiquez l’équité: cela est plus proche de la piété. »
Mais qu’on ne tolère pas cet extrait de l’Ancien Testament :
1ère épître aux Corinthiens / 11:5-6 « Toute femme qui prie ou parle sous l’inspiration de Dieu sans voile sur la tête, commet une faute identique, comme si elle avait la tête rasée. Si donc une femme ne porte pas de voile, qu’elle se tonde; ou plutôt, qu’elle mette un voile puisque c’est une faute pour une femme d’avoir les cheveux tondus ou rasés. »
Si un croyant d’une de ces trois religions est pour le respect de l’étranger, la justice et pour l’égalité de sexe, il serait plus proche de l’athéisme que des monothéistes. De quoi engager la réflexion.
L’autre aspect copiable concernerait les rituels.
En participant à un baptême laïque en tant que parrain, je me suis rendu compte de l’importance qui peut être donnée à un engagement solennel aux yeux de tous. J’étais déjà parrain de cœur avant la cérémonie, mais après, ce n’est pas que mon sens des responsabilités que cela engendre qui a été décuplé, mais plutôt l’assentiment que ces responsabilités ont été officialisées. J’ai vécu cela comme un jour marqué d’une pierre blanche.
Les temples d’Alain de Botton pourraient accueillir à moindre frais dans un cadre sympathique et adéquat les réjouissances et les déchirures qui émaillent notre vie. Mariage, naissance, anniversaire, décès. Pourquoi un catholique peut bénéficier d’un décorum et d’un protocole respectant sa philosophie et ses croyances, tandis qu’un athée doit se contenter de structures qui respectent tout le monde, certes, mais qui ne portent pas de focus sur les convictions intimes de la personne. Pourquoi une vielle dame catholique peut rendre un hommage digne et marquer le coup en s’offrant le luxe minimum d’un adieu de circonstance pour le décès de son époux adoré quant une vielle dame athée doit se contenter d’un crématorium laïque et impersonnel ?
Fondamentalement, la question n’est pas de se demander si c’est une bonne ou une mauvaise idée. La question est de savoir si ceux qui trouvent que c’est une bonne idée vont s’organiser pour que cette utopie devienne réalité. Ceux qui sont contre ne sont qu’un facteur dont il faut néanmoins tenir compte…. Après tout, il y a bien des croyants non pratiquants…
En poussant le délire, en jouant au prophète, on pourrait imaginer de donner dans ces temples des cours d’athéisme pour instruire le croyant endoctriné qui le souhaite… J’entends déjà crier au prosélytisme athée… Mais que nenni. Il y a bien des cours de religions, non ? Pourquoi pas d’athéisme ! Cela provoquerait les croyants ? Est-ce que l’on va supprimer les cours de biologie parce qu’ils tiennent compte de la théorie de l’évolution et que cela va en contradiction avec le créationnisme ? Non, ben alors…
Personnellement, ce qui me dérange dans les religions, c’est leur affirmation naïve et désuète de l’existence de l’homme et surtout la soumission à laquelle il doit se résoudre envers son prétendu créateur… Je trouve désopilant et terriblement inhumain que la vie si unique et extraordinaire ne soit considérée que comme un passage insignifiant en attendant mieux dans le meilleur des cas… Si une religion revendiquait qu’il n’y a pas de soumissions, pas de quelconques obligations, pas de sexisme, pas d’autorité supérieure que la loi perfectible des hommes, que la vie est précieuse et unique, bref, s’il y avait une religion rationnelle et humaniste, je n’aurais rien à en redire…
Il y a bien des adorateurs du dieu spaghetti, nous voilà flanqué de la religion du copisme et maintenant, la religion la plus contradictoire de toutes : un athéisme non dogmatique mais doté d’un protocole non obligatoire. Une sorte de culte sans dévotion à l’expérimentation expliquée et reproduisible.
L’athéisme religieux est pourtant un non-sens. Mais je pense que le sens même du mot religion et son concept n’ont pas cessé d’évoluer depuis l’aube des temps, que cette évolution est loin d’être à son terme. Actuellement et techniquement, l’athéisme ne peut être une religion puisque la définition même du mot religion définie pour la première fois par Cicéron comme « le fait de s’occuper d’une nature supérieure que l’on appelle divine et de lui rendre un culte » (1) contredit au lieu d’accréditer ce que l’athéisme par nature veut défendre, une vie libérée du surnaturel. Alain de Botton pourrait donner une définition de cet acabit « Courant de pensée qui tente de répondre aux questions existentielles ». Le bin’s avec les définitions, c’est qu’il y en a parfois plusieurs pour un même mot, en voici quelques-unes concernant le mot religion (2-5)… Imaginez le nombre qu’il peut y en avoir pour “dieu” !
On dit que la vie est un éternel recommencement et c’est de l’histoire ou plus exactement de l’étymologie du mot religion que l’intersection entre religion et athéisme pourrait avoir lieu. Tertullien, Lactance voient son origine (ce n’est pas le cas de tout le monde, comment s’étonner que personne ne soit d’accord) dans “religare”, c’est-à-dire relier… Relier, nous y sommes, non ? Un temple pour relier les non-croyants entre eux, des cérémonies pour relier les non-croyants entre eux, des cours d’athéisme pour relier les non-croyants entre eux…
Avec un ami de conviction, nous venons d’ouvrir une asbl sous le nom d’ « Athées Humanistes de Belgique » (7) dans le but de réunir le plus d’athées belges afin d’avoir un poids par le nombre dans les débats de société. Nous sommes d’accord, mais pas identique, ce qui ne nous empêche pas de regarder dans la même direction. Lui trouve affligeant cette idée d’athéisme protocolaire. Il pense (et il n’a pas tort) que l’étymologie et la sémiologie sont fort importantes pour la communication. Que le terme religion et celui d’athéisme sont antinomiques. Il préfère nettement le néologisme que l’évolution de la définition afin d’éviter le risque d’abus de langage pour un même mot. Moi, je me dis que les mots comme les espèces vivantes ne peuvent s’empêcher d’évoluer, même quand on ne le souhaite pas… Lequel des deux est dans la continuité ? Y a-t-il un athéisme orthodoxe et un autre progressiste ? Le futur nous le dira parce que nous jouissons du droit d’en débattre.
Un peu de science-fiction : en Belgique, si l’athéisme devenait un culte cela équivaudrait à le subventionner. Des subsides qui sont proportionnels au pourcentage des « pratiquants ». Il serait amusant de les redistribuer chaque année à toutes personnes se déclarant officiellement non-croyantes. De quoi inverser les statistiques rapidement. Cela créerait la situation absurde que les croyants seraient taxés pour le bien-être des athées… Absurdité inversée aujourd’hui. Sur ce point, je plaiderais donc pour un état laïque plutôt que neutre et pour l’arrêt des subventions aux différents cultes… Mesure qui ne passera que le jour où les athées seront majoritaires…
Pour clôturer, je pense que cette idée de temple n’est pas un signal d’alarme d’un athéisme décrédibilisé par son métissage, mais un signe que l’athéisme prolifère et que naturellement, il suit divers courants. Le jour où un athée tuera un autre athée parce que ce n’était pas un bon athée, il sera temps de remettre l’église au milieu du village… D’ici là, passons à l’action… Heu… Si quelqu’un a des tunes à perdre et qu’il connaît une cathédrale à vendre, j’ai une idée de réhabilitation…
JF Jacobs
Notes :
2 : Ref Cicéron, De l’invention oratoire, II, 53 : « Religio est, quae superioris cuiusdam naturae, quam divinam vocant, curam caerimoniamque affert ». Pour un commentaire de cette définition, cf. Jean Grondin La Philosophie de la religion, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 2009, p. 66-73 (ISBN 978-2-13-056860-2)
3 : Depuis le XVIe siècle, la religion a souvent été définie et contestée comme étant un ensemble de croyances et de pratiques pour un groupe ou une communauté. ref Cf. Articles « religion » dans les dictionnaires et encyclopédies d’autrefois sur le site ARTFL Project [archive], Université de Chicago – CNRS. (Dictionnaire de l’acédémie Française, 1695 ; encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Dictionnaire de la langue française (Littré), 1872-1877
4 : La religion peut être comprise comme une manière de vivre et une recherche de réponses aux questions les plus profondes de l’humanité, en ce sens elle se rapporte à la philosophie (ref Jean Grondin, La philosophie de la religion, Paris, PUF, coll. Que sais-je ? n° 3839, 2009. « Religion et sens de la vie »)
5 : La religion est l’ensemble des croyances, sentiments, dogmes et pratiques qui définissent les rapports de l’être humain avec le sacré ou la divinité. Une religion particulière est définie par les éléments spécifiques à une communauté de croyants : dogmes, livres sacrés, rites, cultes, sacrements, prescriptions en matière de morale, interdits, organisation, etc. La plupart des religions se sont développées à partir d’une révélation s’appuyant sur l’histoire exemplaire d’un peuple, d’un prophète ou d’un sage qui a enseigné un idéal de vie. (Définition de la religion sur un site athée. Ref http://atheisme.free.fr/Religion/Religion_definition.htm
6 : “Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent.” – Durkheim, « Les Formes élémentaires de la vie religieuse », 1912.
7 : https://www.athees.net/ et http://www.facebook.com/pages/Athées-Humanistes-de-Belgique-asbl/177818548985893
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