Mais bon dieu, faites les taire ! par Jean-François Jacobs
Ah non, merde, encore un article sur Charlie Hebdo ! … Mais bon dieu, faites les taire !
Comment ça, êtes-vous contre la liberté d’expression ? Enfin, contre ma liberté d’expression ?
Le bordel, le chaos, plus personne n’écoute, tout le monde hurle. Tout le monde juge, tout le monde condamne, tout le monde proclame… Tout et son contraire. C’est l’heure de la partouze onirique du « iladique … » qui se vautre dans le « tavucom … ». Tout va bien.
Oui, tout va bien, la situation est normale. C’est-à-dire qu’elle n’est pas sous contrôle. Des millions de Français dans la rue se revendiquant Charlie alors que les trois-quarts ne savent même pas dessiner un mouton, c’est con, mais c’est beau. Et tous ces chefs ou représentants d’État, quelle dignité ! Marchant côte à côte, non pas vers l’échafaud pour se faire couper la tête, mais pour se repentir de leurs pêchés de récupération morbide… Ou pas. Ah les salauds, que la honte les étouffe !
Comme n’a pas dit Voltaire « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire ». Vraiment ? Garde à vue pour des enfants (1), haro sur des étudiants qui ne se sentent pas Charlie (2), condamnation à de la prison ferme pour un mec bourré qui fait l’apologie du terrorisme (3), appel officiel à la délation (4)… Culpabilité de ceux qui sont sots par procuration. N’y a-t-il pas un paradoxe insurmontable entre « être pour la liberté d’expression » et « vouloir faire taire pénalement les supporteurs de ses opposants » ?
Tout est normal, c’est juste un nouveau concept : la liberté d’expression à condition de ne pas dire des conneries… Allons-y gaiement.
Au commencement, il y avait… un mec doué pour la peinture. Ensuite, il y a un autre gars qui s’est pointé et il lui a expliqué que son talent lui venait de dieu. Cela a donné une idée au dessinateur, dessiner dieu pour le remercier. Il en a perdu la tête, c’était interdit.
Le 7 janvier 2015, des siècles et des siècles plus tard, un journal, français, athée, satirique, qui se déclare comme irresponsable et qui le prouve régulièrement, est pris pour cible. On connaît tous le résultat macabre et les suites meurtrières.
Alors, ça hurle, ça transpire l’arrogance ou ça suinte la peur… Et c’est normal, c’est notre côté animal.
En notre belle époque post-moderne, le minimum serait de relativiser, de se mettre à la place de. De qui ? Des frères Kouachi ? Ok, pourquoi pas. Commençons par ces fils de pute ! Quoi ? Comment les appeler autrement ? Et loin de moi l’idée de les insulter gratuitement. Non, fils de pute, c’est parce que la maman de ces deux frères, pour subvenir à leurs besoins, a dû vendre la seule chose qui lui restait, son corps. Que cette mère, la seule chose qui leur restait, à mis fin à ses jours, sans doute parce qu’elle était encore enceinte (5). Que celui qui se sort de ce cercle vicieux jette la première pierre. Maintenant, on ne peut plus les aider, on peut les comprendre. Non, pas légitimer : comprendre à la froideur d’un constat rationnel. Quel était leur équipement de base pour ne pas tomber dans le piège de la gloire facile ? Ont-ils seulement eu plusieurs options ?
Poussons encore un peu ce relativisme qui, à défaut d’apporter une vérité, donne une bonne raison à tout le monde. Je vais faire un truc vraiment dégueulasse, je vais écrire à leur place. À la place des frères. Lavage de cerveau où il est possible, mais stérile, de trier le vrai du faux. On ne peut prendre la défense des coupables sans souiller la mémoire de leurs victimes :
– Je dis « on » parce que j’ai encore un frère. Nos droits ne nous ont pas aidés à terminer nos devoirs. À huit heures du mat, il y a des gosses qui rentrent en classe et d’autres qui cherchent de quoi manger. Ce n’est pas toujours une question de cerveau, c’est parfois l’estomac qui vous donne la réponse. Quelles étaient nos perspectives ? Il veut dire quoi, ce mot ? Vous nous proposez quoi pour que l’on y adhère ? Notre mère qui est obligée de faire le trottoir ? Vos boulots d’intérimaires réservés aux blancs (6), votre intégration qui nous loge dans des ghettos (7) ?
Bon alors, le refrain « je suis une pauvre victime, c’est pour ça que je suis devenu terroriste », on va l’oublier tout de suite. Pourquoi ? Parce que ça sonne faux, dixit le maestro qui a composé cette étude « depuis quelques années, de nombreuses études ont mis en lumière les grandes contradictions qui peuvent exister entre le sens commun, les intuitions à priori partagées sur la question, et la réalité du terrain. Par exemple, il est d’usage de penser qu’il existe un lien clair entre la pauvreté et l’occurrence de la violence politique. Depuis les attaques du 11 septembre 2001, d’aucuns n’ont eu de cesse d’affirmer que la pauvreté est la cause, sinon unique, au moins principale du phénomène. Or, les multiples études menées à ce sujet relativisent fortement une telle affirmation et complexifient le rapport qui peut exister entre les conditions économiques d’un individu et sa propension à s’engager dans une action politique violente. » (8). Une étude qui cite de multiples études, on a plus qu’à se la jouer piano piano et après tout, c’est assez logique. On ne va pas demander d’organiser des actions secrètes et délicates à l’idiot du village. Ce con risquerait de laisser ses papiers d’identité lors de sa fuite… À la poubelle donc le refrain, qu’en est-il des couplets ?
– On a du sang dans les veines et notre quête fabrique une cause, qui est juste, parce que c’est la nôtre. Nous sommes Français, il parait que c’est écrit quelque part. Mais pour les français, nous sommes musulmans. Et pour un Français être musulman, ce n’est pas être Français. Nous sommes, selon vous, incompatible avec votre mode de vie. Musulman par héritage, c’est devenu notre gagne-pain, notre assurance mort. De martyr de la société à martyr de la foi, c’est une sacrée promotion. Pour nous, votre paradigme n’est pas un paradis. Comment pourrait-il nous donner envie ? On n’envie pas votre liberté d’expression qui veut interdire un humoriste préventivement au lieu de se contenter de le condamner s’il enfreint la loi (9), votre justice qui est variable selon les génocides (10), vos avions qui bombardent des innocents sous le drapeau humaniste bien trop imbibé de pétrole (11), vos démocraties qui creusent le fossé des inégalités sociales (12), votre société capitaliste qui s’enrichit en appauvrissant sa terre nourricière (13), votre bourse qui
spécule sur des matières premières (14)… Vous produisez des armes et les justifications pour les employer… Nous allons vous en faire payer le prix, mais d’une façon très variable. Certains vont en mourir, tandis que d’autres ne devront s’acquitter que de leur billet de train pour se rendre à la manifestation de Paris…
C’est bien commode, ils sont morts et je peux leur faire dire n’importe quoi. Enfin, pas n’importe quoi. Ce que j’en pense. Si mes raisons ne peuvent justifier leur crime odieux, elles ne rendent pas non plus légitime l’inhumanité de leur fondement.
Les frères Kouachi étaient des musulmans extrémistes, de ceux qui ne déposent leur Kalachnikov que pour applaudir des deux mains quand le sang a coulé. C’était quoi leur problème ? Quel son de cloche les a rendus sourds au point de ne plus entendre la mélodie de la compassion ? La folie divine ? Ils n’étaient pas fous, mais plutôt extrêmement cohérents, logiques et rationnels. Du moins envers leur croyance. Quand on est intimement convaincu que l’islam ou une autre religion dogmatique est la meilleure et l’unique réponse pour le bien de l’humanité, il est logique, cohérent et rationnel de lutter pour cela sans compromission. Sous cet angle-là, ce sont les croyants modérés qui sont en porte-à-faux avec les dogmes de leur foi (15). Cependant, s’il faut reconnaitre que les extrémistes sont logiques avec eux-mêmes, on pourrait les inviter à agir pour leur cause avec un peu plus de pragmatisme : Charlie Hebdo tirait à 60.000 exemplaires avant les attentats de Paris. Après, sur une seule édition spéciale, ils ont fait un meilleur tirage que sur l’ensemble d’une année… Clap clap, bien joué les cowboys de la censure ! Maintenant que vous êtes morts, vous ne pouvez constater que dans votre combat, seule l’islamophobie et la répression ont gagné du terrain (16).
Être pour la liberté d’expression, c’est aussi se mettre à la place de. De qui ? De toute cette bande de croyants, toutes religions confondues soudainement copain comme cochon, qui ont « condamné, mais… » l’attentat chez Charlie Hebdo, ceux qui ont osé dire qu’ils étaient choqués par les caricatures et que quelque part, ils comprenaient sans pour autant cautionner ? Ok, pourquoi pas. Ils répondent à leurs questions existentielles par la solution dieu comme d’autres crient banco avant de lancer les dés au casino et ils ne veulent pas renier haut et fort leurs convictions… Pourquoi le feraient-ils ? Pour nous faire plaisir ? Ils croient que leur dieu peut punir les mécréants, comme ils croient que leurs prières peuvent être excusées. Faut-il interdire la prière pour cause de publicité mensongère ? Est-ce un délit de croire ? Ne serait-ce pas à nous de réfléchir et de nous dire qu’il est impossible (et abject) de contraindre quelqu’un de ne pas croire ? Nous sommes, d’une façon ou d’une autre, tous des croyants puisque le savoir universel dépasse de très loin notre capacité d’analyser objectivement toutes les informations à notre disposition (ce qui ne veut pas dire que l’athéisme est une croyance ! Ne pas tout savoir n’empêche pas de réfuter allègrement les fadaises religieuses). De plus, ce n’est pas eux qui ont appuyé sur la gâchette. Ils sont contre les caricatures, et alors ? Ils n’ont pas le droit de l’affirmer ? Mais qu’ils le hurlent, qu’ils les insultent, qu’ils… les caricaturent. Dans ce jeu à la con, il faut juste respecter les règles. Et dans ces règles, il n’y a pas de balle dans la tête. C’est une question de proportion… Comme disait la fille de six ans d’un ami : « Celui qui n’aime pas le dessin, il a qu’à en faire un plus beau… ».
Je pourrais en rester là. Ce serait oublier l’essence de ma démarche, la raison de ce brûlot. Si je m’enflamme, à la base, ce n’est pour exprimer qu’un point de vue, le mien. Celui de l’athée qui ne peut considérer une seule seconde que sa non-croyance puisse être interprétée comme de l’impertinence qu’il faudrait bannir de l’espace médiatique et artistique si elle est susceptible de heurter ce que les croyants tiennent pour sacré. Que les frileux de la satire aillent se rhabiller. Comme par exemple, ce monsieur Geluck, bédéiste au pinacle de
l’humour, qui semble ne pas tenir compte de deux petits détails quand il affirme, du haut de son sommet médiatique, qu’il est irrévérencieux, au delà du supportable, de dessiner dieu si son surnom est Allah (17). Monsieur Geluck, la limite que vous vous autorisez n’est pas une norme qui devrait être appliquée à tous les dessinateurs et s’il est normal qu’un musulman soit choqué par une caricature de son prophète, personne ne l’oblige à s’abonner à Charlie Hebbo. Bienvenu sur internet, si vous y cherchez un enfoiré qui ne sera pas d’accord avec vous, vous êtes à la bonne adresse.
Même si le « là-bas » n’est pas le « ici », quand un imam radical au Pakistan se moque des mécréants lors de son prêche du vendredi, les défendeurs masqués de la rationalité matérialiste ne vont pas débarquer comme des furies pour lui coller une prune dans la poire. Si un imam radical, ou pas, utilise le prophète pour justifier sa foi, pourquoi un dessinateur athée ne pourrait pas l’utiliser pour dénoncer la supercherie des religions ? Les radicaux musulmans veillent-ils à la sensibilité des musulmans modérés ? Pourquoi un athée devrait en tenir, obligatoirement, compte ?
Je me dois aussi de souligner que c’est très bien de la part de l’humaniste Geluck de citer (approximativement), pour apaiser la situation, le verset 32 de la sourate 5 : « Si tu prends la vie d’un homme, tu tues toute l’humanité ». Afin de suivre son conseil, je vous déconseille de lire le verset suivant de cette même sourate : « La récompense de ceux qui font la guerre contre Allah et Son messager, et qui s’efforcent de semer la corruption sur la terre, c’est qu’ils soient tués, ou crucifiés, ou que soient coupées leur main et leur jambe opposées, ou qu’ils soient expulsés du pays. Ce sera pour eux l’ignominie ici-bas ; et dans l’au-delà, il y aura pour eux un énorme châtiment. ». Pas de quoi fouettez un chat, le judaïsme et le catholicisme, ce n’est pas mieux…
On a bien le droit de rigoler des religions, et ce, pour une simple et bonne raison : la réciprocité ! Cela fait bien longtemps que les textes religieux se moquent du bon sens rationnel, de la liberté de conscience et de l’esprit critique.
(1) http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/01/29/apologie-du-terrorisme-pourquoi-un-
enfant-de-8-ans-a-t-il-ete-entendu-par-la-police_4566129_4355770.html
(2) http://www.nicematin.com/derniere-minute/minute-de-silence-perturbee-a-lecole-ciotti-veut- supprimer-les-allocations-familiale.2065154.html
(3) http://www.franceinfo.fr/actu/justice/article/quatre-ans-de-prison-valenciennes-pour-avoir- approuve-les-freres-kouachi-630339
(4) http://www.huffingtonpost.fr/2012/10/09/manuel-valls-denonciation-islam-radical- sectaire_n_1951770.html
(5) http://www.reporterre.net/L-enfance-miserable-des-freres
(6) http://www.lesoir.be/802731/article/economie/2015-02-23/adecco-condamne-pour- discrimination-l-embauche
(7) http://www.observatbru.be/documents/graphics/rapport-pauvrete/rapport- pauvrete-2010/1_barometre_social_2010_resume.pdf page 3
(8) http://www.etopia.be/spip.php?article2663
(9) http://www.bfmtv.com/societe/dieudonne-la-justice-suspend-l-interdiction-de-son-spectacle-en- auvergne-861835.html
(10) http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_Gayssot
(11) http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/09/28/la-coalition-frappe-trois-nouvelles- raffineries-tenues-par-l-etat-islamique-en-syrie_4495660_3218.html
(12) http://www.huffingtonpost.fr/2015/01/19/les-plus-riches-moitie-richesse- mondiale-2016_n_6498758.html
(13) http://www.lalibre.be/actu/planete/la-planete-vit-a-credit-des-ce-
mardi-53f2dece3570667a63945197
(14) http://www.momagri.org/FR/articles/Une-analyse-critique-de-la-speculation-boursiere-sur-les- matieres-premieres-agricoles-et-les-denrees-alimentaires_1323.html
(15) On peut trouver ce raisonnement dans le livre (disponible gratuitement en ligne), « La pensée extrême. Comment des hommes ordinaires deviennent des fanatiques » de Gérald Bronner. http:// assr.revues.org/23456
(16) http://www.itele.fr/france/video/les-actes-islamophobes-en-hausse-de-70-depuis-les-attentats-a- charlie-hebdo-selon-un-collectif-111604
(17) https://www.youtube.com/watch?v=xCt1sLX00pQ&feature=youtu.be
” Today, in Europe, it is more important than ever to emphasise the spiritual and religious dimension of human life. In a society increasingly marked by secularism and
t h r e a t e n e d
b y
a t h e i s m
[souligné par moi], we run the risk of living as if God did not exist. ” (François, ADDRESS OF HIS HOLINESS POPE FRANCIS TO MEMBERS OF THE DELEGATION OF THE “CONFERENCE OF EUROPEAN RABBIS” ”
Monday, 20 April 2015
La menace, c’est plutôt lui et ses contes à dormir debout !!
” On court le risque de vivre comme si dieu n’existait pas ”
Il est bien sûr de lui, le François !!