Mais comment peut-on être athée ?
Laïque, pourquoi pas ?… Mais athée, who cares? À la différence de la laïcité qui est, elle, subsidiée dans notre pays à l’instar des cultes, personne ne reconnaît ce droit à l’athéisme. C’est heureux sans doute, et les athées ne s’en plaignent pas, car leur statut est bien différent. Si la laïcité prône la séparation des Églises et de l’État, l’athéisme, en revanche, prône celle des religions et des consciences. Singulière différence, qui mène à les différencier singulièrement.
Encore que ce ne soit pas leur rapport à une uniformité de conceptions qui distingue athéisme et laïcité. Multiples dans leurs expressions, celle-ci s’applique pour certains aux seules institutions de l’État tandis que pour d’autres, au risque de la voir heurter de front la liberté fondamentale d’opinion et d’expression, elle s’étend à ses fonctionnaires, voire même à ses usagers. C’est là, il est vrai, une question que l’on ne se posait guère avant que l’islam vienne concurrencer le quasi-monopole religieux du catholicisme. Elle fait pourtant maintenant rage dans les milieux laïques, ouvrant toutes grandes les portes à des revendications plus sensibles encore, celle de l’interdiction du foulard dit islamique, derrière laquelle se tapissent bien des motivations, dont certaines parfois peu avouables.
L’athéisme est bien plus polymorphe encore. On le retrouve de la gauche à la droite. Des marxistes radicaux aux ultralibéraux. De ce bon curé Meslier qui prônait l’athéisme pour la libération politique et sociale des masses, à Nietzsche sur le bord opposé, qui le réservait à la seule aristocratie intellectuelle et sociale (sa « brute blonde » méprisante du peuple), pour l’épanouissement individuel de laquelle les masses (le « troupeau », disait-il) devaient être faites d’esclaves. Comme quoi, si l’athéisme prône le « rien », comme pensent certains, on y trouve de tout.
« Le XXIe siècle sera religieux », dit-on dire, attribuant faussement cette phrase à Malraux. Le retour des intégrismes et la violence aveugle avec laquelle ils s’expriment semblent bien, à l’échelle globale, confirmer cette assertion. D’autant plus qu’il ne s’agit pas seulement des seuls attentats de « fous de l’islam », mais aussi de la bestialité meurtrière de « fous d’autres religions » qui, cette fois, visent aussi des musulmans : ceux d’intégristes bouddhistes par exemple, tout aussi meurtriers, à Lhassa au Tibet en 2008, à Meiktila en Birmanie en 2013 ou encore à Aluthgama au Sri Lanka en 2014, pour n’en citer que quelques-uns pour cette religion que l’on dit si pacifique…
À l’aise, l’athéisme…
À l’inverse de ce retour, combien violent, du religieux, l’athéisme n’a pourtant, en Europe du moins (la Pologne ou encore la Turquie exceptées !), jamais été aussi à l’aise pour essaimer. Nul besoin aujourd’hui, dans notre société laïcisée, de dissimuler sa pensée impie. Être athée et s’affirmer tel ne présente évidemment plus le danger, le cas échéant, de devoir goûter aux charmes des bûchers sur lesquels, avant la Révolution, l’on brûlait allègrement mécréants, hérétiques et autres apostats.
Dans le monde francophone, du haut de sa gloire médiatique, un Onfray y a sans doute contribué pour une part, avant de s’envoler vers d’autres préoccupations plus consensuelles et postmodernes, revisitant par exemple la Révolution française dans le sens le plus réactionnaire qui soit – et encore y a-t-il pire, que l’on pense à ce qu’il dit de Guy Môquet !
Mais si l’on ne veut pas confondre causes et conséquences, c’est d’abord et avant tout la société toute entière qui s’est ouverte à l’athéisme, offrant à des penseurs athées d’y trouver pignon sur rue. Retardataire, comme toujours lorsqu’il s’agit de conceptions du monde et de conscience sociale, cette athéisation intrinsèque de la société européenne y est le prolongement décalé de l’État providence et du consumérisme social (la Sécu protégeant mieux que tous les saints, le monde profane offrant plus que ce que promet le monde céleste), de la pilule contraceptive aussi (la bride religieuse lâchant face à la libération sexuelle).
Et si la grande contraction économique et le sida sont venus remettre en cause tout cela, permettant aux religions de se refaire une santé – et dans ses convulsions intégristes, une psychose – l’athéisme s’y est installé confortablement et, quoique battu par les vents contraires, il y mûrit. Ainsi sommes-nous toujours plus nombreux à nous en revendiquer, comme le montrent avec évidence les sondages. Et encore ceux-ci minimisent-ils souvent les choses, puisque l’on sait que, en raison du retard de la conscience sur l’évolution sociale, nombreux sont ceux qui confondent ethos culturel et conviction intime, se disant toujours être catholique, ou musulman, ou juif… alors qu’ils affirment par ailleurs ne plus croire en Dieu.
Et puis, à l’heure où la démocratie parlementaire tant vantée a succédé à la tyrannie féodale bénie par l’Église, il faut bien que le centre de gravité de l’abrutissement des masses se soit lui aussi déplacé des illusions de la religion à celles de la démocratie parlementaire. Désabuser les peuples, aujourd’hui, ce serait donc plutôt dénoncer et déconstruire les mécanismes par lesquels on fait accroire que notre société, cette machine à créer de la misère et de l’exclusion, est le meilleur des mondes possibles : qu’il est indépassable et le seul dans lequel les malheureux ont à espérer être heureux, non plus dans les Cieux mais sur Terre cette fois.
Mais pourquoi promouvoir l’athéisme ?
Pourquoi se revendiquer athée ? Et non, prudemment, agnostique ? C’est que l’agnosticisme, cédant à la nécessité consensuelle d’un doute qu’il est de bon ton de se réclamer au sujet d’un Dieu que l’on sait pourtant ne pas être, apparaît le plus souvent comme une forme honteuse encore de l’athéisme, évitant le reproche de « dogmatisme ». Mais l’athéisme, contrairement à ce qu’en disent ses détracteurs (Frédéric Lenoir par exemple) ne peut être un dogme. Multiple et varié dans ses formulations, conception sociale et idéelle transversale de tant d’opinions politiques aussi, il se contente d’affirmer que Dieu n’est pas et que, comme le disait Jean Meslier, ce bon curé, « les religions ne sont que des inventions humaines ». Où est le dogme là-dedans ?
Tout simplement, l’athéisme s’inscrit dans cette démarche qui vise à renouer avec ce qu’est l’homme à sa naissance. Athée l’homme. Athée l’humanité originelle aussi ! C’est ensuite seulement que les hommes ont créé des dieux, puis leur Dieu. Mon chat n’y croit pas, lui. L’enfant n’y croit pas plus avant qu’on lui inculque la foi, c’est-à-dire la croyance en ce qui n’est pas croyable.
Il y a tant d’arguments à avancer pour contredire celle-ci, je me contenterai, la place manquant, d’avancer celui-ci : comment, s’il existait, un Dieu pourrait-il avoir eu l’idée d’énoncer des préceptes moraux, purement humains d’ailleurs, et dont beaucoup sont ridicules, alors même qu’il aurait, rien que pour les hommes, créé un univers qui compte, exclusivement dans ce que nous pouvons en observer, on le sait maintenant, pas moins de 10²³ étoiles ? Et pourquoi, si tardivement au regard de la si longue histoire de l’humanité ? Faudrait-il encore que l’on accorde à ce Dieu considéré comme infiniment sage d’avoir été aussi « infiniment mégalo », contredisant ainsi au passage le fait qu’il soit considéré comme infiniment sage ? En regard, l’athéisme est un modèle de sobriété, à mille lieues de là !
Les croyants s’étonnent toujours quelque part de ce que l’on puisse être athée, mais ce qui est surprenant est que l’on puisse croire en Dieu. Et à travers tant d’innombrables religions ! Un Dieu unique, s’il existait, permettrait-il que l’on en vénère d’autres ? L’athéisme ne s’embarrasse pas de ces contradictions. Il affirme que Dieu n’est pas, simplement. Posément, paisiblement, sans qu’il soit ici besoin de brûler ce que l’on a adoré – l’aurait-on adoré. Sans hargne non plus. Loin de l’acharnement aussi avec lequel certains laïques, confondant trop facilement le phénomène religieux lui-même avec ses effets, s’en prennent, au travers de ce qu’ils considèrent comme des « signes manifestes de religiosité », aux croyants eux-mêmes.
À l’inverse, parce qu’elle est sereine et ferme, la critique athée des religions est toujours empreinte du plus grand respect humain pour ceux dont la foi est un héritage social ancré dans leur conscience tout autant que le réconfort, comme disait l’autre, de « la créature accablée par le malheur », dans ce « monde sans cœur » et dans cette « époque sans esprit ».
(Cet article est une version complète de celui qui a été publié de façon quelque peu tronquée sous le même titre dans Espace de Libertés, févr. 2017, n° 456)
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