Mort et avenir des religions

Patrice Dartevelle

Entendre parler – dans un docte univers universitaire souvent si prudent – de fin des religions ne peut qu’être sympathique à un athée. Même – sinon surtout insinueront les plus caustiques – chez les anticléricaux, si la difficulté d’imaginer la fin de la religion – du moins de celle qui a été dominante – reste grande.

Aussi, quand paraissent les actes d’un colloque organisé voici quelques années par l’Association belge pour l’étude des religions (BABEL), sous le titre Quand une religion se termine…, je me réjouis d’avoir l’occasion de réfléchir tant au passé qu’à l’avenir des religions[1].

Posons d’emblée un bémol ou proposons une clarification : il s’agit, comme le dit bien le titre du livre, de la fin de chaque religion prise isolément, mais pas de la fin de toutes les religions. Toutefois, l’ouvrage traite de la fin ou de la situation plus que compromise en Europe de la religion dominante, ce qui dépasse l’analyse historique sans la rendre inutile.

La leçon vaut aussi pour l’athéisme

Quand une religion se termine comporte un petit clin d’œil : il contient un article d’Alexander Meert sur l’athéisme dans l’Antiquité grecque[2]. L’athéisme radical, métaphysique, soutenant que Dieu ou les dieux n’existent pas, existe bel et bien dès le Ve siècle avant notre ère, mais après la mort de Théodoret de Cyrène en 275 avant notre ère, l’athéisme disparaît en quelques décennies. Sans doute l’épicurisme prend-il sa succession, mais c’est avec un athéisme « mou », au sens où, pour les épicuriens, les dieux existent, mais sont dépourvus de tout rôle que ce soit et de toute utilité. La conception peut sembler bizarre ou masquer une prudence sociale à laquelle mieux valait sacrifier. Mais nous savons aussi que des personnes se disaient athées dans les salons de la Rome antique au temps de Cicéron et que, s’il ne nous reste pas de véritable déclaration d’athéisme après Théodore de Cyrène, un scepticisme peut poindre chez Pline l’Ancien et une moquerie se retrouver régulièrement à travers l’œuvre de Lucien de Samosate (vers 125 – vers 190 de notre ère), que nous avons largement conservée[3].

Je ne vois pas de cas de religion morte qui ait pu renaître mais c’est le cas de l’athéisme – qui n’est pas une religion, mais tout de même son contraire – après sans doute un millénaire et demi d’oubli.

La disparition de l’athéisme antique ne doit rien au christianisme, peu à une répression souvent plus sociale que pénale, mais beaucoup, comme l’explique A. Meert, à une évolution des idées et des religions de l’Antiquité. La religion païenne de notre ère diffère largement des croyances anciennes centrées sur les dieux de l’Olympe – ce qui favorisera le développement du christianisme. La condamnation de l’athéisme par Platon sera longtemps efficace.

La leçon de modestie vaut donc aussi pour les athées qui auraient tort d’être sûrs qu’ils ne peuvent être à nouveau marginalisés.

La fin des religions

Il est logique de penser que causes du triomphe d’une religion et causes de son déclin peuvent entretenir des liens.

Pour réussir, une religion doit être en phase avec les mentalités de l’époque et du lieu, avec les intérêts et les besoins des groupes dominants, voire si possible avec ceux de la plus grande partie de la population et en tout cas être acceptable pour celle-ci. Le culte de Mithra a pu paraître un moment comme un concurrent voire un vainqueur du christianisme. Il a échoué par son aspect violent (la taurobolie), son élitisme, son exclusion des femmes même dans un univers bien peu féministe, comme le montre Baudouin Decharneux dans sa contribution au livre[4], et malgré une période de cohabitation géographiquement étroite (des temples étaient voisins) avec le christianisme à Rome même[5].

Mais à coup sûr, une fois triomphant, le christianisme s’en est pris au mithriacisme et dès la fin du IVe siècle, les chrétiens ont dévasté de nombreux sanctuaires de Mithra. Dans le cas du triomphe du christianisme dans l’Antiquité, on voit une réponse aux attentes de l’époque – le paganisme contemporain n’est pas si différent – et la prise en charge par le pouvoir impérial, conscient de la force montante que manifestait le christianisme.

Dans certains cas, pour comprendre l’extinction d’une religion, il faut tenir compte de l’intervention de forces intégralement externes. C’est le cas de la religion des Amérindiens, telle que l’analyse Sylvie Peperstraete[6]. Les conquistadores anéantissent le royaume aztèque et cherchent à faire de même avec la religion. Celle-ci a survécu à la conquête militaire et politique. Les prêtres ont pu se renouveler (et donc être formés) un certain temps. Au XVIIe siècle encore, de nouveaux prêtres prennent leurs fonctions. Si sacrifices humains et anthropophagie disparaissent un peu avant 1540, offrandes aux dieux aztèques et pratiques de guérison se sont perpétuées et ont conservé encore aujourd’hui une présence, certes secondaire – de type subculturelle, mais bien réelle.

Ce qui est remarquable, c’est l’importance pour les Espagnols de l’évangélisation et donc de la lutte d’éradication. Elle se marque notamment par sa précocité. Mexico est prise en 1521. Dès ce premier moment, les conquistadores sont accompagnés de prêtres. Les franciscains arrivent en 1524 et en 1526, une ordonnance royale impose à toute personne qui s’emparerait d’un territoire espagnol d’exposer aux indigènes qu’elle venait « leur enseigner les bonnes coutumes, les éloigner des vices et de manger la chair humaine, les instruire dans notre sainte foi catholique et prêcher pour leur salut ».

Le pape organise rapidement les choses. Quelques mois après la prise de Mexico, une bulle papale permet aux ordres mendiants de prêcher et de donner les sacrements sur le territoire américain. En 1522, une seconde bulle leur donne l’autorité apostolique du pape là où il n’y a pas d’évêque. Certes, l’Église est une bureaucratie mais apparemment, elle n’était pas guettée par la procrastination.

Comme ceux de Mithra, les temples aztèques sont mis à bas dans des délais record : en 1531, on dénombre déjà plus de 500 temples abattus et 2 000 « idoles » détruites. L’Inquisition s’implante rapidement, mais elle ne s’occupe guère des indigènes. À un moment donné, de 1535 à 1540, un inquisiteur s’occupe d’eux en étant responsable de la moitié des procès intentés à leur encontre, mais ce zèle excessif le fait démettre de ses fonctions.

On peut certes soutenir que ce zèle missionnaire n’était que le paravent d’autres préoccupations – économiques en langage actuel, de rapines et de vols en langage d’hier – mais la réalité religieuse avait une réalité. Lui nier toute réalité, c’est projeter sur le passé les mentalités d’aujourd’hui. Sans doute beaucoup de conquistadores mêlaient-ils de manière indissociable les deux ambitions, la spirituelle et l’économique.

Le cas du christianisme

Venons-en à la période actuelle et au déclin des christianismes (le catholique et les trois protestantismes principaux; l’orthodoxie étant une autre affaire).

Ce qui a favorisé leur succès les a menés à leur perte. À des degrés divers, ils se sont opposés aux normes nouvelles qui étaient celles de la modernité et se sont montrés allergiques à liberté de pensée et d’expression, sont demeurés ancrés dans des structures autoritaires, indifférents à la prise d’importance des femmes et à des visions différentes de la sexualité, confinés dans des lieux incommodes, jugés archaïques par les fidèles et manifestant concrètement l’autorité absolue du prêtre.

La question de l’appui des autorités politiques aux religions chrétiennes à l’époque contemporaine n’est pas intégralement claire. Il est impossible dans la généralité des cas de parler d’abandon des religions par les pouvoirs publics. Appui et financement ont rarement manqué. Or, c’est ordinairement un point central du succès d’une religion. L’exception, quasi unique, est celle de la France, mais à partir de 1905 seulement. Encore s’agit-il uniquement du traitement des prêtres, les pouvoirs publics continuant de financer les églises déjà bâties à cette date.

Cet appui politique est-il encore aussi nécessaire qu’autrefois ? Le cas américain est éclairant. Les pouvoirs publics américains ne financent pas les Églises, même si elles profitent d’avantages fiscaux, mais les États-Unis sont demeurés jusqu’il y a peu un pays très croyant et très pratiquant. Contrairement à une idée autrefois reçue en Europe, la très grande diversité religieuse, certes en pratique limitée aux Églises chrétiennes, n’a en rien miné la cohésion sociale du pays, qui n’a jamais dû craindre une Saint-Barthélémy. Au contraire, cette tolérance a fait la fierté des Américains.

En réalité, aux époques récentes, le secours des pouvoirs publics n’a plus la même force.

En fait, la sécularisation a éloigné des Églises nombre de croyants eux-mêmes. Le nombre d’hommes politiques démocrates-chrétiens, même de premier plan (dois-je citer un ancien Premier ministre belge devenu président du PPE ?), divorcés et remariés est éloquent. Le soutien des États européens se manifeste surtout par la continuation du financement (mais avec de moins en moins de prêtres à rémunérer) et, selon une intensité variable en fonction du pays, par le financement d’écoles et d’hôpitaux religieux. Ce système sert surtout à valider la cohérence de partis se réclamant d’une religion.

Aujourd’hui, ce qu’on appelait traditionnellement une religion, avec la certitude et la foi qui lui étaient liées, a pratiquement disparu. Dès qu’apparaît un groupe nouveau de croyants à la foi vibrante, il se fait traiter de « secte », tant l’incompréhension de ce qu’étaient les religions est devenue grande[7].

La grande exception à cet état d’esprit en Europe est celle des musulmans qui professent leur religion classiquement (je vise les musulmans en général, pas les seuls islamistes), ce qui les fait souvent admirer par les chrétiens fondamentalistes ou simplement nostalgiques. Tout indique que leur conviction et leur mode d’expression de celle-ci ne sont pas en danger.

Un exemple historique est parlant à cet égard. On croit souvent que les musulmans ont été chassés d’Espagne en 1492. En fait, à cette date, le calife Boabdil quitte l’Espagne vaincu, avec son administration et son armée, suivi d’une partie des musulmans. Les autres, le plus souvent des agriculteurs, restent attachés à leurs terres. Les rois d’Espagne et l’Église vont tout faire pour les convertir, quitte parfois à se contenter de réclamer uniquement discrétion pour la religion musulmane et adhésion de surface au christianisme. La lutte sera constante au Levant espagnol (Valence, Alicante, Murcie), les musulmans n’hésitant parfois pas à de véritables provocations publiques. Constatant l’échec complet de cette politique, ce n’est qu’en 1609 que le roi Philippe III prend un décret de totale expulsion, dont l’application prendra plus de temps que prévu, mais qui sera accomplie en 1614[8]. De nombreuses villes du Levant y perdront la moitié de leurs habitants.

Hors ce cas, et l’un ou l’autre groupe évangéliques, également importés, il n’y a pas trace d’un revival religieux en Europe – revival qui ne s’est produit qu’aux États-Unis dans le courant du XIXe siècle (XXe ?), alors qu’au siècle précédent, les religions ne s’y portaient plus si bien.

Quelle religion pour l’avenir ?

Globalement, au sujet de l’interprétation de la situation religieuse, on peut s’en tenir à la caractérisation proposée par Habermas : « Les sociétés dans lesquelles nous vivons doivent être pensées comme postséculières, c’est-à-dire des sociétés dans lesquelles la sécularisation n’a pas signifié la disparition des religions »[9].

En clair, si les religions ont considérablement reculé en importance et en impact, elles n’ont pas disparu et surtout, l’idée de religion, d’une certaine transcendance n’a pas disparu. Pourraient-elles renaître et comment ?

J’ai déjà exposé ma position globale sur la question des religions aujourd’hui. Je la résume. De 1977 à 2018, la pratique dominicale catholique en Belgique est passée de 29,4% à 2,6%[10]. Mais beaucoup de gens, athées compris, pratiquent une composition de leur crû, selon un syncrétisme décomplexé. Par ailleurs, et c’est le plus important ici, tous les sondages sur les croyances en Occident montrent, lorsqu’on invite les sondés à se déclarer adeptes de telle ou telle religion ou athées, 20 à 30 % d’entre eux cochent la case « sans religion » et pas « athée ». Dans certains sondages, on propose le choix entre croire à un Dieu personnel qui s’occupe du monde, être athée ou croire en un quelque chose d’autre, d’ineffable. La corrélation entre ce dernier groupe et ceux qui se déclarent sans religion est frappante. Ce groupe est incertain et susceptible d’évoluer de manière imprévisible[11]. Il devrait sans doute gonfler encore avec le renouvellement des générations.

Passons donc en revue les hypothèses sur le futur de la religion. J’utiliserai notamment le long (30 pages) article récent de Sumit Paul-Choudhury, scientifique spécialisé dans la vulgarisation des sciences (il a dirigé pendant plusieurs années la plus importante revue anglo-saxonne de vulgarisation scientifique, New Scientist), qui se consacre maintenant aux études sur le futur[12].

Il faut d’abord insister sur le manque de clarté du concept même de religion. Il n’en existe aucune définition scientifique (ce qui n’a pas empêché les parlementaires français et belges de prétendre savoir parfaitement ce qui la distinguait d’une secte…). On sait qu’il y a du religieux dans presque toutes les institutions humaines, mais le constat, exact, ne nous avance guère. Ce n’est pas parce qu’il y avait du religieux dans les pratiques des partis communistes que cela suffit à faire du communisme une religion.

Fascisme et nazisme ont heureusement été défaits et de ce fait, on perd parfois de vue qu’ils se sont rapprochés d’une religion de substitution, d’une nouvelle religion. Pourtant à l’époque de leur « splendeur », ces mouvements, que nous voyons comme politiques, ont pu vouloir remplacer la vieille religion. Hitler a supprimé les associations de jeunesse chrétiennes en intégrant les membres dans la Hitlerjugend pour laquelle la religion n’était pas le problème. Le coup aurait pu être fatal au christianisme. C’est ce qu’a bien vu l’archevêque de Munster, Clemens von Galen, qui a protesté contre la disparition des mouvements de jeunesse catholiques. Les grands rassemblements de Nüremberg n’avaient-ils pas tout d’une gigantesque procession et d’un culte, avec seulement un demi-siècle d’avance sur les religions en marketing ?

Le cas du fascisme italien est moins clair vu la spécificité de ses relations avec l’Église catholique, mais on y trouve le contrôle des associations de jeunesse, les associations de jeunesse fascistes, le samedi fasciste consacré à la vie sportive, les jours fériés fascistes. On a pu parler de religion politique fasciste comme le rappelle Jan Nelis dans Quand une religion se termine…[13]. N’oublions pas qu’intérieurement, Mussolini ne pouvait adhérer à la religion : il était athée. Aux religions traditionnelles, une pire encore peut succéder.

Pour prévoir, il faudrait donc être capable de sortir des sentiers battus.

Il faut par exemple voir qu’Internet et les réseaux sociaux pourraient nous réserver des surprises. Toute nouvelle religion ne pourrait qu’être particulièrement attentive à cette dimension, comme outil-clé de diffusion. L’impact de ces moyens sur le concept me semble lointain et j’éprouve des difficultés à croire au succès d’une pure communauté virtuelle. Ceci dit, on m’assure que « Dans la Silicon Valley, des transhumanistes prient devant les écrans »[14].

Il faut prendre en considération également que les analystes peuvent avoir une tendance à ne pas s’écarter du concept habituel de religion en Occident et qu’ils ne connaissent pas bien les milieux populaires, milieux dont les pratiques réelles ne sont pas suffisamment connues. Ils peuvent rester proches de la religion-superstition. Les intellectuels païens n’ont eu que mépris pour la religion chrétienne, tardivement rencontrée.

Quant à l’avenir, l’hypothèse la plus simple serait celle d’une modernisation radicale de l’une des religions traditionnelles. Ce serait un peu comme si les papes avaient continué et approfondi les décisions du concile de Vatican II. Ils ne l’ont pas fait mais de nombreux groupes de protestants libéraux l’ont fait : ils se sont largement éteints et ce qu’il en restait a été balayé par les évangéliques, surtout là où les protestants étaient peu nombreux, comme en Belgique. L’hypothèse est peu vraisemblable.

En cherchant ailleurs, on peut songer à une nouvelle « religion », éloignée des critères habituels. Sumit Paul-Choudhury relève le cas du jediisme, la foi des gentils dans Star Wars. Lors du recensement britannique de 2001, c’était la quatrième plus grande religion du pays avec 400 000 personnes qui s’en réclamaient[15], mais dix ans plus tard, il reculait à la septième place. Feu de paille donc. Qanon, en beaucoup moins gentil, présente des traits religieux, messianiques. Ce serait de toute évidence la voie du pire.

L’écologie pourrait aussi être une source d’inspiration pour certains. Ce n’est normalement pas une religion, mais les références à Gaia, à la Nature peuvent troubler, comme l’ont été des cardinaux par des déclarations du pape François. L’intolérance manifeste de la fraction fondamentaliste du milieu m’inquiète aussi.

Il y a déjà longtemps que le plus grand historien belge des religions, Franz Cumont, anticlérical déterminé, a imaginé une évolution des religions vers une forme de religion de l’humanité. C’est un spécialiste du passage du paganisme au christianisme. Il est assez hégélien et voit donc une logique forte dans l’histoire. En 1917, sans doute frappé par les massacres de la Première Guerre mondiale, il écrit à Alfred Loisy, autre historien des religions[16] :

Il est bien probable que nous allons vers quelque forme de religion de l’humanité, telle que vous l’esquissez en de fort belles pages, vous avez admirablement montré tout ce qu’elle devra à un passé, qu’elle peut rejeter partiellement mais non abolir. Les antinomies de la foi traditionnelle et de la libre pensée se résoudront ainsi en une synthèse plus haute. Hegel vous eût approuvé[17].

J’éprouverais, je l’avoue, une grande méfiance envers un projet de religion ou de croyance unique. J’y vois la nostalgie de la paroisse d’autrefois. Notre monde est irrémédiablement divers. L’idée est centenaire, mais je verrais bien là quelque chose qui s’approfondit depuis la Seconde Guerre mondiale. La référence aux droits de l’homme est devenue beaucoup plus visible et je ne songe pas à m’en plaindre. Mais les critiques existent sur l’extension et le rôle qu’on leur prête et on fait parfois valoir qu’ils ne peuvent constituer une politique. La politique des droits de l’homme ne conduit-elle pas à limiter la liberté d’expression par les voies judiciaires ? J’y vois comme un parfum de religion, effet de toute sacralisation.

Dernière hypothèse sélectionnée, une extension considérable de l’islam en Europe.

Michel Houellebecq a été fort vite en besogne lorsqu’en 2015, il a publié Soumission et mis en scène l’élection d’un président de la République française musulman dès 2022. Mais sauf révolution démographique, il ne faudra plus vingt ans pour que la plupart des villes d’Europe comptent au moins 20 % de musulmans, dont bien peu rejoindront les rangs des sans religion et des athées. Ce qui se publie sur les terroristes djihadistes montre le nombre devenu pas si négligeable des convertis à l’islam, ce qui pourrait, si le mouvement se confirme et s’amplifie, nous mener au-delà de 20 % de musulmans.

Tout cela n’est qu’hypothèses sauf celle qui concerne la présence plus forte de l’islam, qui n’est pas réversible.

À cela il faut ajouter une instabilité sociale, d’intensité variable selon les pays. La déshérence vécue par la partie de la population la moins bien lotie, spécialement dans le chef des Européens « de souche », les manifestations de type « gilets jaunes », la rage des mêmes milieux et au-delà contre les élites, le phénomène Trump incitent à penser que la stabilité et la certitude de l’avenir ne sont plus à notre portée.

À quoi peut servir l’athéisme demain ?

Les athées vont cohabiter avec des groupes religieux, ce qui, dans son principe, n’est pas neuf. Espérons qu’il y en aura plusieurs, sinon on reprendra les luttes du XXe siècle entre catholiques et anticléricaux.

La société aura besoin des athées pour argumenter les religions, les folies qui semblent nous menacer, dont l’irrationalité est bien autre chose que celle des religions traditionnelles.

Rien de tel que défendre et illustrer l’athéisme pour mieux contrer les nouvelles formes de religion, la montée de l’islam, le désarroi et l’incertitude des « sans religion ». Mais il faudra que les athées ne soient pas eux-mêmes gagnés par l’irrationnel contemporain qui peut attirer dans tous les groupes, comme jamais auparavant.


Notes

  1. Anne Morelli et Jeffrey Tyssens [ dir.], Quand une religion se termine… Facteurs politiques et sociaux de la disparition des religions, Louvain-la-Neuve, EME Éditions, 2020, 309 p. Prix : 31 €. Les contributions sont publiées soit en français (9), soit en anglais (6).
  2. Alexander Meert, « Theodorus « the Atheist » of Cyrene (ca 345-275 BC) : the last Representative Radical Atheism in Antiquity », op. cit., pp. 47-72.
  3. Je ne peux que conseiller la lecture de sa traduction complète dans la collection Bouquins : Lucien de Samosate. Œuvres complètes. Traduction d’Émile Chambry révisée et annotée par Alain Billault et Émeline Marquis, Paris, Robert Laffont, 2015, 1 243 p.
  4. Baudouin Decharneux, « Remarques philosophiques sur la « mort » du culte de Mithra », op. cit., pp. 87-100.
  5. Vincent Mahieu, « La coexistence religieuse dans l’Antiquité tardive. Topographie cultuelle métroaque et implantations monumentales chrétiennes dans la Rome du IVe siècle », op. cit., pp. 101-131.
  6. Sylvie Peperstraete, « Le Mexique indigène face à la « conquête spirituelle ». Le sort des prêtres amérindiens à l’époque coloniale », op. cit., pp. 157-179.
  7. À l’évidence, ce que certains reprochent aux « sectes » s’applique toujours parfaitement aux Églises traditionnelles telles qu’elles fonctionnaient il y a trois ou quatre générations.
  8. Isabelle Poutrin, Convertir les musulmans. Espagne 1491-1609, Paris, PUF, 2012.
  9. Jürgen Habermas, Entre naturalisme et religion. Les défis de la démocratie, Paris, Gallimard, 2008 pour la version française, que je cite d’après Yves-Charles Zarka, La destitution des intellectuels et autres réflexions intempestives, Paris, PUF, 2010. Cf. p. 221. Je suivrais moins Habermas dans la phrase qui suit celle que je viens de citer : « Mieux encore, les religions peuvent être porteuses de principes moraux qui, lorsqu’on en libère le contenu profane, peuvent dégager « une force d’inspiration valant pour la société dans son entier ». Je ne vois là que révérence inutile à un passé dont on a du mal à se séparer.
  10. Juliette Masquelier, Jean-Philippe Schreiber, Cécile Vanderpelen-Diagre, Les religions et la laïcité en Belgique. Rapport 2019, Observatoire des Religions et de la Laïcité (ORELA), de l’Université libre de Bruxelles, 2020, p.132.
  11. Patrice Dartevelle, « Le retour de la spiritualité : nouveau masque des religions ? » dans La Pensée et les Hommes », Francs-Parlers 2015, pp. 59-70.
  12. Sumit Paul-Choiudhury est un scientifique londonien, ex-éditeur de New Scientist, tout à la recherche sur le futur, la futurologie en créant le centre Alternity, cf. son article « Les dieux de demain », posté le 15 janvier 2021 sur le site de la BBC.
  13. Jan Nelis, « Déclin d’une « religion » et renouveau d’une autre : fascisme et catholicisme dans l’Italie de l’après-guerre », op.cit., pp. 201-217.
  14. Voir Le Soir du 25 février 2021, interview par Daniel Couvreur de Philippe Bercovici et Benoist Simmat, auteurs de L’incroyable histoire de l’immortalité.
  15. Interrogé sur ce qu’était sa religion, un petit-fils de 6-7 ans m’a répondu : Star Wars.
  16. Alfred Loisy est initialement un théologien catholique spécialisé dans les origines du Christianisme. Ses travaux le feront excommunier en 1908 et l’année suivante, il prendra la chaire d’histoire des religions au Collège de France.
  17. Danny Praet, « The End of Ancient Paganism and the End of Modern Organized Religion in the Thought of Franz Cumont »,Quand une religion se termine…, op. cit., pp. 133-152, spécialement pp. 150-151.